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Éditorial
Fallait-il présenter un dossier sur l’affaire Finaly ? La question est légitime, car nous croyons tout savoir sur ce sujet. Les ruses de Melle Brun pour ne pas rendre les deux frères à leur famille ont été maintes fois décrites et condamnées. Les enquêtes, discrètes et efficaces, dans les monastères espagnols ont fait l’objet d’analyses, d’hypothèses et de conclusions souvent répétées. La campagne d’opinion qui agite la France du printemps 1953, puis le soulagement une fois l’affaire dénouée n’ont plus de secrets à nous dissimuler.
Pourtant, voici un dossier qui met à mal nos certitudes. Il pose d’ailleurs des questions qui n’ont pas complètement perdu de leur actualité. Est-il moralement légitime, par exemple, d’arracher à la famille d’accueil des enfants qui ont perdu leurs parents et de les remettre à des parents qu’ils ne connaissent pas ? Il est vrai qu’en l’occurrence, Melle Brun n’incarnait pas l’amour véritable d’une mère adoptive. Mais l’interrogation n’en reste pas moins essentielle.
Connaît-on vraiment les ramifications de la filière espagnole ? On oublie un peu vite que l’Espagne de 1953 subit la dictature de Franco, que Franco a conservé une prudente neutralité pendant la guerre sans cacher ses sympathies pour Mussolini et Hitler. Son alliance avec l’Église catholique donne à son régime des couleurs particulières. Or, nous avons jusqu’alors négligé le facteur régionaliste qui ajoute à la complexité de l’histoire espagnole. Les prêtres et les pères abbés qui font passer les enfants Finaly d’un couvent à l’autre sont basques. Ils détestent le centralisme de Madrid. L’affaire Finaly devient, dans cette perspective, un enjeu politique qui n’a plus rien à voir avec les Juifs. Elle prend des dimensions internationales, sur lesquelles personne n’avait encore attiré notre attention.
Enfin, sept ans après la fin du conflit mondial, quelle place occupe le génocide des Juifs qu’à cette époque on n’appelle pas la shoah ? Les parents des enfants ont été déportés et n’ont pas survécu. Le reste de la famille est dispersé. Si les frères Finaly repartent avec leur tante, ce sera pour Israël, jeune nation qui vient de naître. Le débat réveille des souvenirs douloureux parmi les Juifs, qui se demandent si d’autres enfants ne connaissent pas le même sort, s’ils n’ont pas été convertis, de force ou non, au catholicisme, si des drames comparables demeurent enfouis dans le secret des campagnes françaises. Dans les autres milieux de la société française, qui découvrent qu’il y a eu des Justes, que certains de ses Justes oublient, la guerre terminée, qu’ils doivent rendre des comptes aux familles. Bref, il est impossible d’oublier la tragédie. Elle continue de marquer les consciences et la mémoire nationale.
Notre dossier repose sur une observation toute simple. Des thèmes anciens méritent d’être rajeunis. Il faut les compléter par des thèmes nouveaux qui répondent à la curiosité des historiens d’aujourd’hui. Cette démarche ne nous prive pas des rubriques habituelles, qu’il s’agisse des mélanges, du dictionnaire, des comptes rendus de nos lectures, des recherches originales. Au total, un numéro riche et original qui, j’en suis certain, ne manquera pas d’attirer l’attention, de provoquer réactions et témoignages, de susciter un passionnant débat.
A.Kaspi
Sommaire
Dossier : L’affaire Finaly : pistes nouvelles
Introduction, par Catherine Poujol
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1945-1953. Petite chronique de l’affaire des enfants Finaly, par Catherine Poujol
Pas de résumé disponible pour l’instant.
Récupérer les enfants cachés : un impératif des oeuvres juives dans l’après-guerre, par Katy Hazan
Retrouver les enfants juifs dispersés et cachés en France pendant la Seconde Guerre mondiale et les faire rentrer au sein du judaïsme a été une préoccupation lancinante des organisations juives dès la Libération. Entravée par les divisions mêmes qui fracturent le judaïsme – consistorial, traditionaliste, communiste, sioniste entre autres – la recherche s’éparpille entre organismes multiples et concurrents et se heurte par ailleurs à des blocages juridiques, administratifs, géographiques, mentaux : lenteur de la Justice, éloignement des familles survivantes, réticences de l’Eglise catholique, incompréhension d’une population française soit chrétienne soit attachée au laïcisme républicain. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’affaire Finaly, qui ne fut au départ, avant le rapt des enfants et la campagne de presse qui s’ensuivit, qu’un dossier d’enfants cachés parmi bien d’autres.
/ Getting back hidden children : a post-war necessity for the Jewish institutions
It was an obsessing concern with the Jewish institutions as soon as the Liberation occurred, to find the Jewish children who had been scattered and hidden during the Second World War and to have them belong again to Judaism. This quest, because it was impeded by the splits within Judaism – be it consistorial, traditionalist, communist or Zionist – it dealt with by many rival organizations and on the other hand they all encountered juridical, administrative, geographical or mental deadlocks : cumbersome Justice procedures, the fact that the children were so far away from their surviving families, the reluctance of the Catholic Church, the unawareness of the French people because of their links with Christianity or with republican secularism. The case of the Finaly children must be thought of confronting this complicated environment, a case which, at first before the children were abducted and the ensuing press campaign, was just a file about hidden children amongst many others.
Le grand rabbin Jacob Kaplan et l’affaire Finaly : guide, porte-parole et négociateur de la communauté juive, par Catherine Poujol
A partir d’une réflexion sur la tentative élaborée en 1777 par Jacob Rodrigues Pereire d’établir un document de voyage et d’identité propres aux Juifs portugais d’Europe occidentale désireux de se rendre à Paris, l’auteur s’interroge sur le rapport à l’espace de ce groupe des Portugais à partir de l’observatoire français. Une triple contextualisation de cette entreprise est proposée : la démarche de Pereire vise d’abord repousser les limites géographiques des privilèges reconnus aux Portugais pour les étendre à l’ensemble du royaume ; à la dimension de l’espace juridique s’ajoute la dimension d’un espace vécu facteur d’une identité séfarade qui se définit à la fois dans l’appartenance à l’espace diasporique et dans la distinction d’avec les autres Juifs ; les combats de Pereire pour la défense des privilèges enfin invitent à confronter les problématiques liées au statut des Juifs avec l’évolution du droit des gens et en particulier de la condition juridique de l’étranger au siècle des Lumières.
/ Chief Rabbi Jacob Kaplan and the Finaly affair : a guide, spokesman, negotiator for the Jewish community
Jacob Kaplan, one of the two temporary Chief Rabbis of France during that period, worried about the problem of the Finaly children, long before that became a « case ». There was a crisis among the Jewish institutions, a latent Christian proselytism was staying then, and the Jewish organizations competed fiercely in order to be those who got the hidden children back. When the affair burst out at the beginning of 1953, he got to great pains but succeeded in quieting down all kinds of activists. He got the situation well under control in spite of the severe criticism he came in for and obtained the return of the children, thanks to his quiet determination, his unwavering diplomacy, his tactfulness, his personal connections with members of the Catholic clergy which he established on the subject of the rescue of children during the Second World War, mainly with Cardinal Gerlier, and which were renewed. Contrary to all expectations and thanks to his personal determination, the affair resulted in a temporary reunification of French Judaism and started a new chapter in the Judeo-Christian relations in France.
Au nom des valeurs républicaines et de la mémoire des leurs : des militants de la laïcité face à l’affaire Finaly, par Chantal Thoinet
A partir du début de 1953 l’affaire Finaly suscita dans la presse laïque et anticléricale une explosion d’articles et de caricatures, dont les plus violents furent ceux de La Calotte et du Canard enchaîné. Leurs auteurs y dénonçaient la permanence de comportements hérités de l’antijudaïsme médiéval et de l’antisémitisme du XIXe siècle (affaire Mortara), la négation des acquis de la Révolution française en matière de liberté de conscience et d’égalité, un complot catholique international, un relais des persécutions nazies encore toutes fraîches… Au delà de la jubilation caustique des injures et des caricatures, on y verra un avatar de la lutte pluriséculaire entre l’esprit des Lumières et celui de la Foi, totalement imperméables l’un à l’autre. La franc-maçonnerie y vit un symptôme de déliquescence d’un gouvernement républicain incapable de faire respecter ses décisions. L’émotion de la presse retomba aussi vite qu’elle était montée ; seul Franc-Tireur, qui avait refusé qu’avoir sauvé la vie d’enfants puisse donner quelque droit que ce soit sur eux, continua à maintenir une pensée pour les enfants Finaly.
/ In the name of Republican values and in the memory of their own dead : secularist activists in front of the Finaly affair
As soon as the beginning of 1953, the Finaly affair gave rise to a burst of articles and satirical cartoons in the secularist and anticlerical press, among which the harshest were those of La Calotte and Le Canard enchaîné. Their authors denounced the permanency of behaviors inherited from medieval anti-Judaism and the anti-Semitism of the XIXth century (the Mortara affair), a contradiction to their benefits of the French Revolution as concerns freedom of conscience and equality, an international catholic plot, the taking over of the still fresh Nazi persecutions. Far beyond the caustic exultation of insults and satirical cartoons, can be underlined here one of the misadventures of the multisecular fight between the spirit of the Age of Enlightment and that of Faith, totally impenetrable one by the other. Freemasonry described it as a sign of the decay of a republican government unable to make its decisions respected. In the press the stir died down as rapidly as it was aroused ; Franc-Tireur alone, which had refused to admit that the rescue of children could bestow some sort of power upon them, persisted in its concern about the Finaly children.
L’affaire Finaly dans le regard de la presse marseillaise, par Renée Dray-Bensousan
L’auteur étudie les trois principaux quotidiens de la presse marseillaise : Le Provençal, socialiste, Le Méridional-La France de Marseille, de droite, La Marseillaise, communiste. Analyses quantitatives, choix de mise en page et contenu des articles : chacun, comme de juste, a sa façon de traiter de l’affaire. Le quotidien communiste s’y intéresse très peu ; Le Provençal suit la ligne républicaine et laïque ; l’impact local de l’affaire est particulièrement prégnant dans Le Méridional qui défend bec et ongles les religieux marseillais emprisonnés à la suite du séjour sous un faux nom des enfants Finaly dans le pensionnat catholique marseillais de Notre-Dame-de-la Viste et de leur transfert illégal vers Bayonne. Un petit nombre de juifs marseillais, très actifs dans leur soutien à Jules Isaac et à Rabi, multiplient les réunions et les meetings mais l’opinion juive marseillaise dans son ensemble reste atone. L’effervescence retombe dès la restitution des enfants.
/ How newspapers in Marseille dealt with the Finaly affair
The author goes into three main dailies of Marseille : Le Provençal, a socialist paper, Le Méridional-La France de Marseille, of right-wing tendencies, La Marseillaise, communist. She looks into the number of articles, the chosen lay-out and the contents of these articles. Each one of these papers of course has its own way to deal with the case. The communist paper does not take much interest in it ; Le Provençal is in line with the republican and the secularist tendency ; the local impact of the affair has a great resonance in Le Méridional which fights tooth and nail the clergymen of Marseille who were imprisoned because the Finaly childred stayed, under a false name, in a catholic boarding-school, Notre-Dame de la Viste, in Marseille, before being illegally transferred to Bayonne. A few Jews of Marseille, who actively supported Jules Isaac and Rabi, endeavored to arouse meetings, but the Jews in Marseille as a whole seemed unconcerned. The turmoil collapsed as soon as the children were returned.
Diplomatie et affaire Finaly : l’intermède espagnol, par Anne Dulphy
Grâce essentiellement à des archives diplomatiques encore inédites (Ministère des Affaires étrangères, Centre des Archives diplomatiques de Nantes) et aux souvenirs de Germaine Ribière, l’auteur étudie à plusieurs niveaux, qu’elle articule et remet en perspective, les tractations politiques qui entourèrent la restitution des enfants Finaly une fois passés en Espagne : subtile intrication de l’affirmation identitaire des Basques face à l’Espagne, des crispations politiques franco-espagnoles avec, en arrière-plan, la présence des exilés républicains sur le sol français et les contraintes de la guerre froide, de l’obstruction du national-catholicisme franquiste, des tièdes pressions de la hiérarchie du Vatican, des démarches diplomatiques et des médiations privées.
/ Diplomacy and the Finaly children : the Spanish episode
Mainly through diplomatic archives still unpublished (Ministry of Foreign Affairs in Paris, Center of diplomatic archives in Nantes) and the memories of Germaine Ribière, the author analyses the various levels of the political negotiations concerning the return of the Finaly children once they were in Spain, and she links them together and puts them in perspective : the subtle intricacy of the identity assertion of the Basques facing Spain, the political tenseness between France and Spain added to the existence of republican exiles in France, the constraints of the cold war, the obstruction of the pro-Franco national Catholicism, the half-hearted pressure of the Vatican hierarchy, the diplomatic steps and the private mediations.
Mélanges
Résister à l’emprise du consistoire à Paris dans la première moitié du XIXe siècle : la » synagogue Sauphar « , par François Lustman, Monique Lévy et Stéphane Toublanc
Des assemblées de prière particulières subsistèrent malgré la centralisation du culte imposée par le gouvernement impérial via la création des consistoires. Les auteurs étudient la personnalité d’un instituteur hébraïque, Lévi Aron Sauphar, qui maintint la sienne ouverte en marge du consistoire de Paris de 1822 environ à 1835, la rouvrant après chaque fermeture. Qui était-il ? Que peut-on savoir de ses origines et de son milieu familial ? Quelle a été la trajectoire de sa vie ? À quel public, et de quelle nuance religieuse, s’adressait-il ? Derrière Lévi Aron Sauphar et son affrontement avec le consistoire de Paris se dessine un milieu encore peu étudié, celui de la petite communauté de Paris en mutation dans le premier tiers du XIXe siècle.
/ Holding out against the ascendancy of the Consistory in Paris during the first half of the XIXth century : the « Sauphar synagogue »
Private prayers meetings continued being held in spite of the concentration of religious practice under the authority of the newly created consistories imposed by the imperial government. The authors examine the character of a Hebraic teacher, Lévi Aron Sauphar, who maintained his school open cut off the Consistory of Paris from 1822 to 1835, reopening it as soon as it was closed. Who was he ? What may be known of his origin and his family environment ? What was his aim in life ? What audience, what religious opinion did he adress to ? Beyond Lévi Aron Sauphar and his attitude as an opponent to the Consistory of Paris, we can perceive an environment which is still almost unknown, that of a small community of Paris an its evolution during the first third of the XIXth century.
De l’Empire à la République : les Juifs de France et la guerre de 1870-1871, par Philippe Landau
Occulté par le second acte de l’affrontement franco-allemand qui court de Guillaume II à Hitler, le premier acte, celui de 1870-1871, est bien le premier traumatisme infligé par cette tragédie. Philippe Landau étudie comment les Juifs français ont vécu l’invasion du territoire et les horreurs de la guerre, le passage de l’Empire, période faste pour eux, à une Troisième République dont ils ne savaient rien encore, l’affrontement sanglant entre Communards et Versaillais, les débuts de l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Il replace l’espionnite de 1870 et la promulgation du décret Crémieux par le gouvernement républicain dans la longue durée de l’histoire de l’antisémitisme, tant en métropole qu’en Algérie.
/ From Empire to Republic : the Jews of France and the war of 1870-1871
Overshadowed by the second act of the confrontation between France and Germany which goes on since Guillaume II to Hitler, the first act, that of 1870-1871, is indeed the very first traumatic experience inflicted by this tragedy. Philippe-E. Landau analyzes how the French Jews lived through the invasion of the country and the horrors of war, the end of the Empire which had been a lucky period for them, and the birth of the third Republic about which they knew nothing, the bloody fight between Communards and the government troops, the first days of the annexation of Alsace and Lorraine. He resets the spy mania of 1870 and the promulgation of the Crémieux decree by the republican government in the long-lasting history of antisemitism in France as well as in Algeria.
Archives
Découvrir le Toit familial, foyer d’étudiants juifs à Paris, 1952-2000, par Emmanuelle Polack
Dictionnaire
- Théophile Bader
- André Bernheim
Lectures
- Les Juifs de la République en Algérie et au Maroc, par Roger Bensadon (Valérie Assan)
- Aimé Pallière (1868-1949). Un chrétien dans le judaïsme, par Catherine Poujol (Frédéric Gugelot)
- Le Juif Süss et la propagande nazie. L’Histoire confisquée, par Claude Singer (Catherine Nicault)
- Maurice Halbwachs, un intellectuel en guerres mondiales (1914-1945), par Annette Becker (Catherine Poujol)
- Dictionnaire des Justes de France, sous la direction d’Israël Gutman (Catherine Nicault)