Archives juives n°32/2

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Éditorial

Toute terre d’immigration est aussi une terre d’émigration. La France n’échappe pas à la règle. Au XIXe siècle et plus encore au XXe siècle, elle a beaucoup accueilli. Et chacun sait que les Juifs ont été nombreux parmi les nouveaux venus, qu’ils soient originaires de Pologne, de Russie, de Roumanie, de Hongrie, d’Afrique du Nord ou du Proche-Orient. Or, dans le même temps, l’émigration a tenu une place importante. Certes, il arri ve que le déplacement soit inscrit à l’inté rieur des frontières nationales. Des Juifs d’Alsace ou de Lorraine s’établissent à. Paris, ou bien poursuivent leur migration jusque dans le département du N rd. Plus significatifs encore sont les départs vers un pays étranger, comme les États-Unis ou vers un territoire colonial comme l’Algérie.

Ces mouvements de population posent aux historiens plusieurs questions. En premier lieu, quelles sont les motivations de ceux qui partent ? La persécution, la dis crimination, la recherche d’un mieux être, l’aspiration à plus de liberté, autant de bonnes raisons de prendre le chemin d’ailleurs. Comment décider de la destination que l’on se fixe ? Le hasard, des rumeurs plus ou moins bien fondées, des réseaux et des filières concourent à la décision. Enfin, pour que la démonstration soit concluante, il convient de prendre pour illustration un groupe précis. C’est ce qui explique qu’Archives Juives ait tenu à étudier la diaspora alsacienne et lorraine. L’exemple est d’autant plus intéressant qu’il nous donne l’occasion de réfléchir sur plusieurs siècles et sur des communautés influentes au sein du judaïsme français.

Notre revue a pris le parti d’aborder une période moins connue, plus délicate également. Au sortir du conflit mondial, quel chemin l’Alliance allait-elle emprunter ? Sa bibliothèque avait été pillée ou dispersée ; ses fonds documentaires, transférés en d’autres lieux. Le monde lui-même avait changé. Que restait-il du judaïsme à l’est de l’Europe après la Shoah ? Le mouvement sioniste parviendrait-il à créer cet État d’Israël qu’il revendiquait depuis un demi-siècle ? La communauté juive de France, dans la mesure où elle existait vraiment, saurait-elle construire sur les ruines ? Autant de questions nouvelles et angoissantes que l’Alliance a dû affronter.

Cette démarche conduit à une obser vation qui éclaire la ligne directrice de notre revue. L’histoire des Juifs est parti culière, au même titre que celle des pro testants, des Provençaux ou des Bourguignons. Mais elle ne saurait faire oublier qu’elle fait partie d’un ensemble plus vaste, et que cet ensemble a pour nom l’histoire_de la nation française. Archives Juives traite de l’histoire des Juifs de France, c’est à dire des Juifs qui ont choisi de vivre en France, qu’ils y soient nés ou qu’ils y aient fixé leur domi cile à un moment donné de leur existence. Somme toute, il y a toujours eu en France des Juifs français et des Juifs étrangers sur la voie de l’intégration. Les articles que nous publions dans la rubrique des Mélanges et dans celle des Recherches confirment, s’il en était besoin, notre orientation.

De bons esprits contesteront cette hypothèse de travail. Ils nous répondront que nous négligeons la spécificité de l’histoire communautaire, qu’une autre expression, comme celle des Juifs en France, conviendrait mieux. Je ne suis pas convaincu. Mais si je n’ai pas convaincu celles et ceux qui lisent la revue, j’aime rais qu’ils nous adressent leurs observations et nous présentent leurs arguments. Nous sommes ouverts aux débats qui animent le monde des historiens.

A.Kaspi

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