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Éditorial
Vous êtes juif ? Comment, Salomon, vous êtes juif ? », s’exclame, incrédule, Louis de Funès, après avoir expliqué à son chauffeur que son futur gendre est « catholique comme tout le monde ». Cette réplique, tirée d’une des scènes cultes des Aventures de Rabbi Jacob, un film sorti sur les écrans en 1973, en pleine guerre du Kippour, ne peut-elle pas être interprétée non seulement comme un miroir tendu par le cinéaste à ses contemporains, mais aussi comme une mise en abyme de la place des Juifs dans le cinéma hexagonal ? Les millions de Français qui, au fil des générations, ont vu et revu avec un plaisir toujours renouvelé la Grande Vadrouille, clin d’œil cinéphile et burlesque à la Grande Illusion de Jean Renoir, ou L’As des as, savent-ils que leur réalisateur, Gérard Oury, trouva refuge à Monaco pendant l’Occupation pour échapper à la persécution antijuive ? Cet élément biographique éclaire sous un nouveau jour les évocations tragi-comiques de la période de la Seconde Guerre mondiale dans sa filmographie.
Peu d’historiens se sont intéressés jusqu’ici à la place des Juifs dans l’industrie cinématographique française. Il est vrai qu’à quelques exceptions près, rares sont les cinéastes qui ont mis en avant leur judéité dans leurs films. La sortie, en 1967, du Vieil Homme et l’Enfant, une œuvre largement inspirée de la vie de son auteur, le producteur et réalisateur Claude Berri, constitue un tournant à cet égard. Ce film, qui met en scène un enfant caché dans une famille de paysans d’un village des Alpes pendant la guerre, fut un immense succès populaire. D’autres cinéastes ont aussi, dans des veines très diverses, mêlé cinéma et questionnement sur leur identité juive et sur leur rapport à Israël.
C’est sur quelques-unes des figures juives, connues ou méconnues, du cinéma français que se penche le dossier, coordonné par l’historien Ophir Levy, que nous vous invitons à découvrir. Rien d’étonnant à ce que les années 1930 et la période de l’Occupation y tiennent une place importante. Aussi singulières qu’aient été leurs trajectoires biographiques et esthétiques, les cinéastes, producteurs, acteurs, techniciens, compositeurs de musiques de films…, juifs ou perçus comme tels, furent également visés par les lois antijuives du régime de Vichy et, déjà auparavant, par un antisémitisme de plume qui ciblait les Juifs comme responsables d’une prétendue crise morale du pays. Or ce dossier thématique va bien au-delà de cette période et, au travers de plusieurs portraits de femmes et d’hommes intrépides dans la vie comme dans leur création, nous fait parcourir un large pan de l’histoire du cinéma. Ce faisant, il nous ramène à notre expérience de spectateurs et nous invite à la renouveler et l’enrichir.
La rubrique « Mélanges » accueille deux articles : une contribution à l’histoire de la Shoah à travers le sort de la diaspora russe exilée en France et, d’autre part, un article sur les premiers cimetières juifs de Paris qui prolonge le dossier du précédent numéro d’Archives juives.
En écho au dossier thématique, le « Dictionnaire » offre le portrait de Baruch Lévy et de l’un de ses fils, Edmond Benoit-Lévy, un pionnier du 7e art qui co-fonda en 1906, à Paris et dans d’autres villes de France, le premier réseau de salles de cinéma, dont certaines ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. Une recension d’ouvrage clôt ce volume.
V.Assan
Sommaire
Dossier : Figures juives de l’industrie du cinéma français
Figures juives de l’industrie du cinéma français. Introduction, par Ophir Levy
Coiffant les portraits alignés de dix producteurs et réalisateurs hexagonaux d’inégale importance, l’inscription « les juifs, maîtres du cinéma français » accueillit les visiteurs, à compter de septembre 1941, dans la section cinéma de l’exposition « Le Juif et la France ». Censé étayer l’antienne antisémite de l’emprise juive exercée sur les esprits, ce volet de l’exposition consacré au « Septième art » s’appuyait sur un fantasme certes grossier (le cinéma français aux mains de ceux qui conspirent à nous corrompre), mais un fantasme dérivant lui-même d’un constat : le fait que nombre de Juifs avaient investi avec succès, dans les années 1920-1930, les différents secteurs de l’industrie cinématographique française. Or, comment expliquer une participation aussi régulière d’acteurs juifs aux activités de production, de distribution ou d’exploitation cinématographiques, et ce, aussi bien en France qu’aux États-Unis, en Russie ou en Europe centrale ?
Cette présence importante des Juifs dans les métiers du cinéma résulte de phénomènes historiques, sociaux et culturels ayant été bien étudiés concernant d’autres pays que le nôtre. Ainsi, Neal Gabler, J. Hoberman, Jeffrey Shandler ou encore Paul Buhle ont montré, pour ce qui est des États-Unis, comment la réputation douteuse du cinéma à ses débuts, le mépris dont il était l’objet aux yeux des élites culturelles WASP et sa structuration économique balbutiante avaient permis à des immigrants juifs d’intégrer un secteur encore peu disputé là où d’autres portes plus prestigieuses (par exemple celles du théâtre) leur étaient souvent fermée…
/ Figures juives de l’industrie du cinéma français. Introduction
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Lucien Rebatet face à Marcel Carné : une lecture antisémite de l’histoire du cinéma, par Christophe Gauthier
Des sombres années 1930, l’histoire du cinéma a surtout retenu les attaques odieuses perpétrées contre Bernard Natan, désormais réhabilité, et les torrents de boue déversés sur le Renoir de La Grande Illusion par Louis-Ferdinand Céline dans son pamphlet Bagatelles pour un massacre, paru en décembre 1937 chez Denoël. Ces deux exemples de l’antisémitisme virulent qui traverse alors la société française sont contemporains d’une crise économique réelle de l’industrie cinématographique nationale (dépôt de bilan de la Gaumont-Franco-Film-Aubert en juillet 1934, faillite de plusieurs dizaines de sociétés en 1934-1935, arrêt de la production chez Pathé-Natan en 1935) dont les répercussions se font sentir jusqu’à la guerre et dont le constat est alors largement partagé.
À l’instar de l’ensemble de la critique d’extrême droite, Lucien Rebatet en tire toutefois des conclusions qui excèdent le simple bilan économique et qu’il n’aura de cesse d’amplifier jusqu’en 1944. Il considère en effet que la situation de l’industrie cinématographique française est consécutive à une grave crise esthétique et morale dont les principaux responsables sont aussi bien les étrangers que les Juifs. Animé depuis les années 1930 par une double obsession, la xénophobie et l’antisémitisme, Rebatet déploie par la même occasion un discours sur l’histoire du cinéma qui, à partir de 1942-1943, substitue à la crise un renouveau, une renaissance quantitative et qualitative. Or les conditions de production du cinéma français ont changé du tout au tout, en raison de la pression de l’Occupant d’une part – et entre autres de la mise en œuvre de la Continental dirigée par Alfred Greven – mais surtout du fait de l’éviction des Juifs du cinéma français, orchestrée par le gouvernement de Vichy, par l’entremise du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) et de l’instauration de la carte d’identité professionnelle.
/ Lucien Rebatet face à Marcel Carné : une lecture antisémite de l’histoire du cinéma
From the dark years of the 1930s, cinema history has mainly remembered the odious attacks on Bernard Natan, now rehabilitated, and the torrents of mud poured on the Renoir of La Grande illusion by Louis-Ferdinand Céline in his pamphlet Bagatelles pour un massacre, published in December 1937 by Denoël. In the writings of Lucien Rebatet, but also of lesser-known critics active in the final years of the Third Republic and during the Occupation, driven by a common anti-Semitism, the observation is shared of an economic and moral crisis in French cinema. Too little attention has been paid to the general trend in film criticism, which followed the crisis with a revival that began in 1942-1943, at the height of the Occupation, and at a time when Jews had been driven out of the film profession. Based on the critical reception of Marcel Carné’s films, from Quai des Brumes to Les Visiteurs du soir, we examine the motives behind this strange rhetoric that attributes to the same filmmaker the vices of an alleged decadence and the virtues of a renaissance.
Jean Epstein : activisme et bannissement d’un cinéaste désigné comme juif sous l’Occupation, par Marie-Charlotte Téchené
Avant de s’imposer, dans la première moitié des années 1920, comme une figure majeure de l’avant-garde cinématographique, Jean Epstein (Varsovie, 1897-Paris, 1953) s’était employé à transmettre, par écrit aussi bien qu’en public, ses réflexions de poète et cinéphile militant sur le cinématographe. Il le fit toute sa vie durant. Dès 1920, alors qu’il était âgé de 23 ans, Epstein commença de donner des conférences dans le cadre des activités de la revue littéraire Promenoir qu’il avait fondée à Lyon avec Jean Lacroix et Pierre Deval. Ce fut d’ailleurs dans le numéro inaugural de cette revue qu’il publia « Grossissement », son premier article sur le cinéma, dédié au gros plan. Son passage derrière la caméra date de 1922 avec Pasteur, film de commande coréalisé avec Jean Benoit-Lévy à l’occasion du centenaire du scientifique. Ce premier essai valut à Epstein d’être engagé par la société Pathé Consortium et de tourner, au cours de l’année 1923, pas moins de quatre films (L’Auberge rouge, Cœur fidèle, La Montagne infidèle et La Belle Nivernaise). Le succès fut au rendez-vous pour ce jeune réalisateur dont Jean Cocteau dira, lors d’une cérémonie d’hommage organisée au festival de Cannes trois semaines après sa disparition, qu’il s’exprimait « par l’entremise du cinématographe » et « cherchait à mettre, à l’exemple des poètes, sa nuit en plein jour ». Abel Gance ajouta qu’il convenait de se souvenir de Jean Epstein comme de l’« un de nos grands architectes d’images » qui fut surtout, selon lui, « un extraordinaire penseur et philosophe méconn…
/ Jean Epstein : activisme et bannissement d’un cinéaste désigné comme juif sous l’Occupation
Although often considered Jewish, the French film director and theorist Jean Epstein was Catholic. His Jewish origins can be traced back to his paternal grandfather, also named Jean, a Polish industrialist who converted to Protestantism and married a Swiss Protestant, Élise Kleber. Their son, Jules Epstein, married Hélène Marie Rompel, a Polish Catholic. This union gave birth in Warsaw to the future filmmaker, Jean, in 1897, and his sister Marie in 1899, who herself became a screenwriter and director, and whose work for the archives of the Cinémathèque française was of prime importance. Jean Epstein’s career, marked by major works such as Cœur fidèle (1923), La Belle Nivernaise (1924) and La Chute de la maison Usher (1928), was brutally interrupted by the Occupation. Vichy’s anti-Semitic legislation kept him away from his professional environment, dispossessed him of his films and plundered his entire estate. Following Jean Epstein’s career during the Occupation provides an opportunity to examine the way in which the film industry, and also the film training institutions, zealously applied the policy of “racial” exclusion decided by Vichy.
Nicole Stéphane, l’insoumise, par Sylvie Lindeperg
J’ai rencontré Nicole Stéphane en avril 1991 pendant l’écriture de ma thèse sur les images de la Résistance. Elle me parla de son engagement dans les Forces françaises libres, de son rôle dans Le Silence de la mer, de La Vie de château qu’elle avait produit en 1966. La conversation se prolongea en d’exquises bifurcations qui m’absorbèrent sous le charme de cette femme à la curiosité ardente dont l’humilité me surprit autant que la fantaisie.
Puis vint la brouille. Nicole avait lu dans mon livre Les Écrans de l’ombre des propos sur Le Silence de la mer qu’elle ne se souvenait pas avoir prononcés. Elle craignait d’écorner la mémoire de Jean-Pierre Melville. Je répondis comme je pus, arguant que les phrases citées reprenaient mot pour mot l’enregistrement de nos entretiens et qu’elles étaient aussi justes qu’inoffensives.
La réconciliation fut scellée quelques années plus tard lors d’une rencontre cinématographique autour de la Seconde Guerre mondiale où je l’avais conviée aux côtés de Lucie Aubrac, sans rien connaître de leurs liens amicaux. Nicole m’apporta une photo d’elle, prise au temps des Enfants terribles, dont la dédicace signait la fin de notre différend. Elle proposa de m’ouvrir ses archives sur Mourir à Madrid, qu’elle était fière d’avoir produit. Je me gardai naturellement de refuser mais, inconsciente des urgences du temps, j’eus la légèreté d’emprunter des chemins de traverse. Et le jour vint où il fut trop tard.
Ce péché de jeunesse a laissé en moi une traînée de honte et un regret brûlant…
/ Nicole Stéphane, l’insoumise
Nicole Stéphane played many roles in the world of cinema: she was an actress who made her name with Jean-Pierre Melville’s Le Silence de la mer (1947), as well as director, screenwriter and producer of films that, like her, took part in history. In December 1942, at the age of 18, Nicole Stéphane, born Rothschild, crossed the Pyrenees to join the Free French Forces, which she joined after a spell in a Barcelona prison. In 1948, she travelled with Henri Decae to the newly proclaimed State of Israel, in the midst of the War of Independence, to film David Ben Gourion and mark her commitment to Zionism. She returned during the Six-Day War and the Yom Kippur War to make the short films La Génération du désert and Une guerre pour une paix. She also produced, on the same subject, the film Promised Land (1974) by Susan Sontag, who became her companion. And it was also with the American essayist that Nicole Stéphane travelled to the former Yugoslavia to shoot Godot à Sarajevo (1993). For Nicole Rothschild-Stéphane was a free and daring producer who put her indomitable energy into filming Frédéric Rossif’s documentary Mourir à Madrid (1963) and produced dramas by René Allio (L’une et l’autre, 1967) and Marguerite Duras (Détruire dit-elle, 1969).
Claude Berri (1934-2009) ou le destin contrarié d’un fils et petit-fils de fourreurs, par Ophir Levy
« Je remercie Claude Berri. Comme tout le monde… ». Cette phrase prononcée par Coluche, alors que Marlène Jobert et Pierre Richard viennent de lui remettre le César du meilleur acteur pour sa prestation dans Tchao Pantin (1983), provoque dans le public un rire de connivence. Réunis au théâtre de l’Empire, ceux que Jean-Luc Godard appellera ironiquement les « professionnels de la profession » savent à quel point Claude Berri (né Langmann) est devenu, depuis le milieu des années 1970, une figure incontournable du cinéma français. Il est à la fois le producteur de certains des plus grands succès populaires du moment – Inspecteur la Bavure (1980) de Claude Zidi, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (1982) de Jean Yanne, Banzaï (1983) de Claude Zidi – et celui qui donne régulièrement leur chance à des cinéastes exigeants tels que Maurice Pialat, Philippe Garrel, Jacques Rivette, Jacques Doillon ou Patrice Chéreau. En ayant récemment fait coïncider réussite commerciale et ambition formelle avec Tess (1979) de Roman Polanski, superproduction d’auteur récompensée par trois Oscars, Claude Berri a vu son succès se muer en prestige. Le trait d’humour de Coluche est donc d’autant plus piquant qu’il doit être pris au pied de la lettre.
Au seuil des années 1980, alors même que la fréquentation des salles de cinéma ne cesse de s’effondrer, s’ouvrent pour Claude Berri trois décennies au sommet du box-office. Les spectateurs plébiscitent aussi bien ses propres réalisations – Le Maître d’écol…
/ Claude Berri (1934-2009) ou le destin contrarié d’un fils et petit-fils de fourreurs
In many ways, the career of director-producer Claude Berri is reminiscent of the founders of the great Hollywood studios. The son of a Jewish immigrant couple from Poland and Romania, Claude Beri Langmann was born in Paris in 1934. Breaking away from the professional environment of many modest Jews in Paris, including his father, Claude Berri drew on his own personal experience (hiding as a child during the war, spending his teenage years in his father’s fur workshop, torn between conformity to Jewish tradition and the pleasures of modern life) to make his first films : Le vieil homme et l’enfant (1967), Mazel Tov ou Le Mariage (1968), Le Cinéma de Papa (1970). Alongside his successful career as a filmmaker (Tchao Pantin, Jean de Florette, Manon des sources, Germinal), he became, through his company Renn Productions, the producer of films by leading auteurs (Garrel, Pialat, Polanski, Chéreau, Demy, Forman, Sautet) as well as huge popular successes (L’Ours, Les Trois frères, Astérix, Bienvenue chez les Ch’tis). While hoping to contribute to a better understanding of the extraordinary career of the famous filmmaker-producer, to whom no monograph has yet been devoted, this article highlights the importance of his Jewishness in his artistic and professional career.
Mélanges
L’émigration russe et la Shoah en France, par Leonid Livak
La Shoah reste la grande absente des études sur l’émigration antisoviétique en Europe dans l’entre-deux-guerres. Or, tandis que les Russes orthodoxes composaient la majorité des émigrants, les Juifs formaient le second groupe par l’importance de ce que l’on appelle aujourd’hui la Russie en exil. L’idée reçue selon laquelle cette diaspora se réduisait à un milieu russe orthodoxe est à l’origine de l’exclusion de sa composante juive de l’historiographie de la Shoah, alors que l’on ne saurait expliquer le déclin politique et culturel précipité de la diaspora russe en France dans les années 1940 sans prendre en compte son épuration « raciale ».
Par ailleurs, l’historiographie de la Shoah restera incomplète tant que l’on ignorera la spécificité de l’expérience des Juifs russes en France occupée comparée à celle d’autres immigrés juifs. Notre intérêt pour l’expérience des Juifs russes, c’est-à-dire russophones, découle de la distinction méthodologique qu’il faut faire entre les migrants juifs russophones et les yiddishophones – originaires de l’ancien Empire des tsars. En effet, la persécution antisémite en France porta atteinte non seulement au statut légal des premiers mais aussi à leur enracinement culturel dans la diaspora russe, facteur qui contribua à faire d’eux des victimes ou au contraire à assurer leur survie.
Cette distinction se fonde sur l’émergence dans l’Empire russe, vers la fin du xixe siècle, d’une population juive éloignée linguistiquement et culturellement du milieu yiddish…
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Être inhumé « en la manière accoutumée » : les Juifs parisiens et leurs cimetières de 1735 à 1809, par Philippe Landau
Malgré leur expulsion du royaume de France par l’Ordonnance du 17 septembre 1394 (confirmée par l’Édit du 23 avril 1615), les Juifs sont présents dans plusieurs régions. Au début du xviiie siècle, 30 000 individus seraient implantés dans le royaume qui compte vingt millions d’habitants.
Leur statut juridique varie selon les lieux même s’ils bénéficient de la tolérance des pouvoirs locaux. Par l’obtention de lettres patentes, ils sont régnicoles mais forment une catégorie de « deuxième classe ». Rares sont ceux qui possèdent des lettres de naturalité. Quant aux autres, venus des États allemands et italiens ou d’ailleurs, ils sont des aubains. Chaque individu est rattaché à une communauté désignée sous le nom de nation. Aussi, y a-t‑il celle des Avignonnais, des Messins, des Juifs ashkénazes et des Juifs portugais. Toutes sont dotées d’un règlement qui garantit leur autonomie fiscale et judiciaire et représentées par des syndics. Les Juifs forment donc un « corps étranger dans le royaume ».
Au même titre que les fidèles de la « Prétendue Religion Réformée », ils n’ont pas d’état civil auprès de l’administration royale. Alors que l’Édit d’avril 1667 exige la tenue des registres paroissiaux en deux copies pour les « Baptêmes, Mariages et Sépultures » dont une est déposée au bailliage ou à la sénéchaussée, les Juifs ne sont pas concernés par cette mesure. De fait, l’état civil est ainsi lié à l’identité religieuse même si « l’aspect national » des groupes prime davantage…
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Dictionnaire
Baruch, dit Benoît, Lévy, commerçant (Strasbourg, 3 septembre 1821-Paris (?), 28 janvier 1884), par Catherine Nicault avec la coll. de Lilliane Jolivet
Baruch Lévy est le fils d’un marchand de drap de Bischheim, Benjamin Lévy (2 avril 1762 – 5 mars 1848) et de Dina Lévy (1778 – 3 décembre 1849). De ses six frères (Ulrich et Samson nés à Bischheim en 1800 et 1806, Jacques, Moïse, Lazare, instituteur, et Simon, négociant, nés à Strasbourg en 1814, 1816, 1818 et 1822) et de ses quatre sœurs (Rose, Adélaïde et Charlotte nées à Bischheim en 1802, 1803 et 1807, Henriette née à Strasbourg en 1819) ainsi que de leurs familles, Baruch devait rester proche toute sa vie.
Marié le 25 avril 1850 à Strasbourg à Julie Strasburger (Strasbourg, 8 avril 1826 – Paris, 16 janvier 1901), fille d’Ephraïm Strasburger et d’Amélie Berger, Baruch Lévy exerça d’abord la profession d’instituteur à Mutzig dont l’un de ses frères, Samson, fut le rabbin. C’est alors qu’il composa Premières lectures françaises, un ouvrage d’éducation morale resté longtemps un « classique de nos écoles », selon Ernest Denis, auteur d’une nécrologie conservée dans les archives familiales. Mais, déjà père de deux garçons – Benjamin (1852-1922, appelé usuellement Fernand), et Albert (1856-1933) – et conscient que ce métier ne lui permettait pas de subvenir correctement aux besoins de sa famille, Baruch s’installe vers la fin des années 1850 dans la capitale, précisément dans le Marais, un quartier alors peuplé d’Alsaciens. Associé à un certain Alexandre Romain, probablement son beau-frère, il ouvre entre 1858 et 1860 un commerce en gros de bimbeloterie et de jouets, 30, rue des Francs-Bourgeois, dans l’ancien hôtel de Gabrielle d’Estrée, la favorite du roi Henri IV, où il loge également avec sa famille…
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Edmond Benoit-Lévy, un pionnier du cinéma en France (Paris, 2 septembre 1858 – Paris, 8 mai 1929), par Catherine Nicault avec la coll. de Lilliane Jolivet
Edmond Lévy est le 3e fils de Baruch (dit Benoît) Lévy (Strasbourg, 3 septembre 1821 – Paris, 28 janvier 1884) et de Julie née Strasburger (Strasbourg, 8 avril 1826 – Paris, 16 janvier 1901). Après ses deux aînés, Benjamin (1852-1922) appelé Fernand, et Albert (1856-1933), tous deux nés à Strasbourg, il est le premier de ses quatre autres frères à voir le jour à Paris, précisément au numéro 30 de la rue des Francs-Bourgeois, dans l’ancien hôtel de Gabrielle d’Estrée (la favorite du roi Henri IV), où leur père a installé entre 1858 et 1860 sa famille ainsi qu’un commerce en gros, semble-t‑il prospère, de bimbeloterie et de jouets. La famille opte pour la nationalité française en 1871, après la cession de l’Alsace et de la Moselle à l’Empire allemand. Comme toute sa fratrie, Edmond adopte tôt « Benoit-Lévy » comme nom d’usage pour se distinguer de tous les autres Lévy et/ou en hommage à leur père, un homme généreux et un bon républicain qui a profondément marqué ses fils.
Après de brillantes études classiques au lycée Charlemagne, Edmond obtient sa licence en droit ; admis au Barreau de Paris le 10 février 1879, il est un avocat d’affaires renommé pour sa compétence, son talent oratoire et sa probité. Parti pour un repos d’un mois en Algérie après la parution en 1886 de son Histoire de quinze ans, il prolonge son séjour en Afrique du Nord de quatre mois qu’il passe à Tunis, démissionnant du Barreau de Paris le 8 décembre 1886 pour s’inscrire à celui de cette ville et apporter son soutien à « des causes qu’il croyait justes » : au Tribunal correctionnel, il défend « des Arabes maltraités par un colon français », au conseil de guerre « des Arabes qui s’étaient vengés de la mort d’un des leurs par la mort d’un soldat français » et il plaide « une grosse question de droit musulman contre un avocat des plus retors »…
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Lectures
Sylvie Anne Goldberg (dir.), Histoire juive de la France, Paris, Albin Michel, 2023, par Valérie Assan
On ne peut que se réjouir de la parution, depuis déjà quelques années, de plusieurs ouvrages de synthèse ayant trait à l’histoire des Juifs, qu’il s’agisse par exemple du Dictionnaire du judaïsme français depuis 1944 dirigé par J. Leselbaum et A. Spire (Le Bord de l’eau, 2013), des Relations entre juifs et musulmans (dir. A. Meddeb et de B. Stora, Albin Michel, 2013) ou encore de l’Histoire des Juifs : un voyage en 80 dates (dir. P. Savy avec A. Kichelewski et K. Berthelot, PUF, 2020). Divers par leurs formats et leurs champs d’investigation, ces volumes répondent à un même objectif, plus que jamais indispensable : celui de transmettre avec clarté une vision nuancée de l’histoire des Juifs et de fournir des éléments pour réfuter et combattre les approximations, voire les récupérations et les réécritures.
Disons-le d’emblée : l’Histoire juive de la France, qui rassemble 150 chercheurs internationaux sous la direction de l’historienne Sylvie Anne Goldberg, directrice d’études émérite à l’EHESS, est un ouvrage majeur pour quiconque s’intéresse à l’histoire des Juifs, ainsi qu’un outil de travail indispensable pour les étudiants et les enseignants.
Comme l’éditeur Jean Mouttapa, responsable de la collection « Spiritualités » chez Albin Michel, le rappelle dans l’avant-propos, le grand public ne connaît (ou ne croit connaître ?) de l’histoire des Juifs de France que quatre épisodes « incontournables » : les persécutions médiévales, l’émancipation, l’affaire Dreyfus et la Shoah…
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Annette Wieviorka, Tombeaux. Autobiographie de ma famille, Paris, Éditions du Seuil, 2022, 21 €, par Laura Hobson Faure
Ce nouvel ouvrage d’Annette Wieviorka représente une contribution importante à l’histoire de la Shoah en France, ceci pour de multiples raisons et, tout d’abord, historiographiques. À quelques exceptions près, la production française récente sur la Shoah en France reste très focalisée sur Vichy, c’est-à-dire sur l’État et sa politique de persécution des Juifs. Quarante ans après la première publication de Vichy et les Juifs de Marrus et Paxton, cette approche demeure toujours nécessaire, notamment en vue des débats politiques qui cherchent à remettre en question la nature fondamentale de Vichy, à savoir sa complicité dans la « Solution finale ». À juste titre, des livres récents, comme L’État contre les Juifs de Laurent Joly et Dénaturalisés : les retraits de nationalité sous Vichy de Claire Zalc documentent la persécution des Juifs décidée et mise en œuvre par l’État français. Les Juifs ne sont jamais absents de ces ouvrages – on perçoit leurs réponses à la persécution, ainsi que leur expérience dans la Shoah par le biais des archives administratives – mais l’objet principal est bien l’État français. Sous un autre angle, tout à fait complémentaire de ces approches étatiques, certains historiens commencent à proposer un regard plus intime, ouvrant une porte nouvelle sur leurs propres familles, afin d’explorer « par le bas » l’expérience des Juifs face à la persécution. Que ce soit Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre, L’histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka, ou encor…
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