Archives juives n°27/1

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Éditorial

La naissance d’une revue ne peut laisser indifférents ni les lecteurs qui prennent la peine de la découvrir ni moins encore celles et ceux qui ont passé des heures et des journées à l’imaginer, à l’écrire, enfin à l’éditer. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Les librairies sont pleines de périodiques en tous genres. Notre domaine de recherche n’échappe pas à la règle. Est-il indispensable de tenter l’aventure ? Après avoir longuement réfléchi, nous avons décidé de franchir· 1e pas. C’est pourquoi il n’est pas inutile que nous nous expliquions.

Nous sommes des héritiers. Nous nous inscrivons dans la continuité. La Commission française des archives juives a été fondée en 1963. Elle a pour objectif de stimuler l’étude de l’histoire des Juifs de France, quelle que soit l’époque, qu’il s’agisse d’histoire économique, sociale, intellectuelle, religieuse. Elle accorde une place privilégiée à la recherche de documents nouveaux qui permettent une meilleure connaissance de notre passé. Pendant vingt-cinq ans, Bernhard Blumenkranz a présidé à ses destinées, à ses activités diverses et à ses publications. Chemin faisant, la Commission a fait paraître la collection « Franco-Judaïca ». La Bibliographie des Juifs de France, Les Juifs du pape en France, Juifs en Alsace, Juifs et judaïsme de Languedoc, voilà des titres qui font la fierté de la collection. Le volume XIV (Les Juifs de France au xvm’ siècle) est sous presse. Dans le même temps, la Commission a publié des cahiers trimestriels, Archives juives, qui ont contribué, par des études savantes et des textes originaux, à renouveler notre perception de l’histoire médiévale, moderne et contemporaine des Juifs de France.

Nous voulons maintenant insuffler une nouvelle vigueur à la Commission et à sa revue. Dans cet esprit, des groupes de travail ont été constitués. L’un d’eux réunit les matériaux qui formeront l’ossature d’un dictionnaire des Juifs de France aux XIXe et XXe siècles. C’est une vaste entreprise qui requiert les connaissances, l’enthousiasme et l’inlassable curiosité de beaucoup de chercheurs. Un autre groupe recueille toutes indications sur les archives privées, tente ·de les localiser et, si possible, d’en dresser l’inventaire. Un troisième groupe tient à jour un fichier bibliographique sur tout ce qui touche à nos préoccupations. Et nous nous sommes aperçus, sans surprise excessive, que ce programme, diversifié et collectif répond à l’attente de bien des jeunes chercheurs, que d’autres ne tarderont pas à nous rejoindre, qu’en somme nous ouvrons des pistes dans un domaine encore peu exploré.

Du coup, la tentation était grande, et nous y avons cédé, de faire connaître les résultats de nos enquêtes, même s’ils restent, pour le moment, incomplets et insuffisants. La revue sera, d’abord, un instrument de travail, un lieu d’échanges vivant, sans exclusives, où seront accueillies toutes les bonnes contributions, où nous privilégierons les dossiers et les débats. Nous désirons avant tout qu’elle soit vivante.

Mais si notre ambition s’arrêtait là, nous nous serions contentés d’un bulletin de liaison. Nous allons plus loin. L’histoire des Juifs de France reste, malgré tout, un domaine marginal des revues existantes. Tout au plus telle ou telle d’entre elles lui consacre de temps à autre un article. Nous voulons, nous, montrer qu’il y a là un domaine à part entière de notre histoire nationale, que, par exemple, les querelles philosophiques et religieuses qui opposent Juifs et chrétiens au XI If siècle, que la vie des communautés alsaciennes et lorraines ‘au XVIIf siècle, que l’Émancipation dans les premières années de la Révolution, que la participation des Juifs à l’industrialisation de la France, que leur condition sociale·et politique depuis l’époque de l’affaire Dreyfus jusqu’à. nos jours, sans oublier, bien entendu, la période tragique de l’Occupation, sont autant de thèmes qui méritent de retenir l’attention de tous, juifs ou non, français ou non: J’ajouterai que l’universitaire que je suis perçoit un phénomène nouveau qui le surprend et le ravit. Des étudiants viennent spontanément, sans qu’une publicité tapageuse ne les racole, demander des sujets de recherches, des conseils de lectures, l’inscription à des séminaires dans un domaine qui, il y a peu encore, semblait inexistant, voire interdit à l’Université.

C’est pour répondre à cette de-mande que nous avons prévu de proposer, dans chacun des numéros de la revue, un dossier principal. Plusieurs articles lui seront consacrés, comme l’affaire Dreyfus dans le présent numéro. Nous avons à l’esprit d’autres projets de dossiers et nous aborderons d’autres périodes avec la même liberté de ton, le même souci d’apporter du nouveau et de faire partager notre enthousiasme. Nous n’oublierons pas de donner des comptes rendus de livres, de citer les principaux travaux qui ont été menés à bien dans les universités, parisiennes et provinciales. Nous aimerions, enfin, que nos lecteurs nous écrivent pour nous faire connaître leurs suggestions, peut-être leurs critiques et, pourquoi pas, leur satisfaction.
Vous avez deviné, en me lisant, que notre ambition n’est pas de faire table rase du passé de la Commission française des archives juives. C’est de nous inspirer du dynamisme d’hier pour progresser, des acquis pour pour-suivre notre réflexion, d’un souffle qui nous a portés pour donner à d’autres le désir de nous accompagner.

Dans quelques mois, nous saurons si notre appel a été entendu. Mais dès maintenant, je voudrais remercier Liana Levi qui a pris le risque de nous aider, Annette Wieviorka et Pierre-André Meyer qui ont assuré la tâche de diriger la préparation de ce numéro, tous les autres membres de l’équipe de rédaction qui n’ont épargné ni leur temps ni leur énergie pour que la revue soit conforme à nos souhaits.

A.Kaspi