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Éditorial
En ce début d’année, de siècle et de millénaire, je souhaite à tous nos lecteurs une année très heureuse et très fructueuse. J’ajouterai un second vœu. Notre revue a pris de nouvelles orientations, il y a maintenant sept ans. Vaille que vaille, elle a étendu son influence, fait connaître de jeunes auteurs et surtout contribué à approfondir nos connaissances sur l’histoire des Juifs de France. Elle continuera sur ce chemin. Je sais qu’elle peut compter sur le concours de ses amis, qu’elle doit attirer un public encore plus large, qu’elle n’est pas assez connue à l’étranger. Autant dire que notre ambition nous pousse à faire plus et mieux. Espérons que notre enthousiasme restera intact, que nous recevrons d’autres concours, qu’en un mot « les fruits passeront les promesses des fleurs ».
Pour le premier numéro de l’année 2001, nous présentons un dossier sur l’Alliance israélite universelle. Voilà une institution plus que centenaire et toujours vigoureuse. Fondée en 1860, au milieu du Second Empire, elle naquit, en partie du moins, des conséquences de l’affaire Mortara. Puis, elle tint un rôle primordial à la fois dans l’émancipation des Juifs d’Europe centrale et orientale et dans l’instruction des Juifs d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient. Elle participa, à n’en pas douter, à la défense des intérêts juifs partout dans le monde. Ses dirigeants ont toujours su se montrer à la hauteur de leur mission, même s’ils n’ont pas toujours pressenti les orientations du monde à venir. Sur la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, les études ne manquent pas. Les archives de l’Alliance ont nourri bien des articles, des recherches universitaires et des ouvrages de qualité.
Notre revue a pris le parti d’aborder une période moins connue, plus délicate également. Au sortir du conflit mondial, quel chemin l’Alliance allait-elle emprunter ? Sa bibliothèque avait été pillée ou dispersée ; ses fonds documentaires, transférés en d’autres lieux. Le monde lui-même avait changé. Que restait-il du judaïsme à l’est de l’Europe après la Shoah ? Le mouvement sioniste parviendrait-il à créer cet État d’Israël qu’il revendiquait depuis un demi-siècle ? La communauté juive de France, dans la mesure où elle existait vraiment, saurait-elle construire sur les ruines ? Autant de questions nouvelles et angoissantes que l’Alliance a dû affronter.
Les articles que nous publions n’apportent pas une réponse complète et définitive. Ils creusent un sillon. D’autres poursuivront le défrichement. C’est là notre mission : ouvrir des voies, signaler aux chercheurs les terrains encore peu exploités, participer à la recherche historique. Cette démarche ne vaut pas que pour le dossier. L’étude que nous livrons sur l’affaire de Damas confirme notre volonté d’innover, donc de prendre des risques. Les informations sur les archives, les fiches biographiques qui ne cessent d’enrichir notre dictionnaire ajoutent à l’intérêt de ce numéro.
Comme je l’ai souvent écrit, j’attends avec impatience les réactions, les recommandations, les propositions de nos lecteurs. Une revue ne vit pas si elle n’entretient pas le dialogue avec celles et ceux qui la lisent. À nos plumes et à vos plumes ! C’est le message que j’adresse.
A.Kaspi
Sommaire
Dossier : L’alliance israëlite universelle après 1945
Avant-propos, par André Kaspi
Pas de résumé disponible pour l’instant.
L’Alliance israélite universelle dans les années noires, par Laurent Grison
Entre 1940 et 1944, l’AIU est soutenue par le service des oeuvres françaises à l’étranger (SOFE), entité administrative du ministère des Affaires étrangères. En dépit des efforts courageux d’une poignée de fonctionnaires, les positions radicales des tenants du régime de Vichy imposent progressivement à une Alliance affaiblie de dépasser sa neutralité. La France libre, pour des raisons politiques, géostratégiques et culturelles, prend le relais de l’action du SOFE de Vichy en faveur de l’Alliance. Celle-ci, dont le message humaniste est renouvelé grâce à René Cassin, cristallise alors un enjeu qui n’est rien moins que la survie, après-guerre, de la culture française dans une large partie du monde.
/ The « Alliance Israélite Universelle » during the Dark Years
Between 1940 and 1944, the Alliance is supported by the French Work Service for Foreign Countries (SOFE), an administration which is part of the Department for Foreign Affairs. In spite of the courageous efforts made by a handful of civil servants, the radical positions of the defenders of the Vichy regime force a weakened Alliance to pass beyond its neutrality. Free France then takes over the action once lead by Vichy in favor of the Alliance, for political, geostrategical, and cultural reasons. As a matter of fact, what seems at stake in the support given to the Alliance – whose humanistic message has recently been renewed by René Cassin – is the survival of French culture in not inconsiderable parts of the world.
L’Alliance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : ruptures et continuités idéologiques, par Catherine Nicault
Emblème du « franco-judaïsme », réfractaire au sionisme, fière de son ancienneté et de ses liens avec les pouvoirs publics, l’AIU est, en 1940, l’institution « israélite » par excellence. Comment a-t-elle réagi aux épreuves de la guerre et aux démentis que la politique de Vichy a opposé à ses valeurs fondatrices ? A quel point son credo, ses ambitions, son mode d’intervention dans le monde s’en trouvent-ils modifiés ? Bref, l’Alliance renaît-elle animée d’une nouvelle vision du monde ? Telles sont les questions auxquelles cet article tente de répondre en examinant successivement, pour l’immédiat après-guerre, la composition du groupe dirigeant, le renouveau programmatique illustré par la Déclaration de l’Alliance, dite du 11 novembre 1945, ses rapports avec le CRIF et les organisations juives internationales, sa position enfin à l’égard de la question palestinienne.
/ The Alliance in the Postwar Years: Ideological Continuity and Discontinuity
An old emblem of Franco-Judaism, maintaining strong ties to the authorities and showing stubborn opposition to Zionism, the Alliance comes across in 1940 as the Jewish institution par excellence. How did it react to the harshness of war and to the negation of its fundamental values as a result of Vichy policies? To what extent did its beliefs, ambitions, and modes of intervention change at that time? These are the questions this paper addresses by successively examining the composition of the upper echelons of the Alliance in the years immediately following the war, the program of renewal as illustrated by the November 11, 1945, Declaration, the relationship the Alliance maintained with the Representative Council of French Jewish Institutions (CRIF) and with international Jewish organizations, and its position on the Palestinian issue.
L’AIU et le judaïsme marocain en 1949 : l’émergence d’une nouvelle démarche politique, par Yaron Tsur, traduit de l’hébreu par Rina Cohen
Cet article traite de deux aspects politiques de l’activité de l’Alliance concernant les Juifs du Maroc en 1949 : un projet de réforme globale de leurs conditions de vie d’une part et, d’autre part, un échange de correspondance avec le sultan Mohammed V. La proposition de réforme fut perçue par l’administration du Protectorat comme provenant d’une réflexion juive internationale massivement influencée par le sionisme, et ceci en dépit du statut traditionnel de l’Alliance aux yeux de l’administration. L’échange entre le président Cassin et le sultan montre que, si l’administration n’avait pas complètement tort de considérer que l’idéologie assimilatrice de l’Alliance était pénétrée d’accents sionistes, cette organisation était encore loin de se rendre au sionisme : elle s’identifiait simultanément aux deux options qui par le passé semblaient contradictoires, le patriotisme français et le prosionisme.
/ The « Alliance Israélite Universelle » and Judaism in Morocco in 1949: The Rise of a New Path for Political Action
This paper deals with two major political actions led by the Alliance in favor of Moroccan Jews in 1949, namely a project aiming for the improvement of their living conditions, and correspondence with Sultan Mohammed V. The proposal for a major reform was regarded by Protectorate officials as the consequence of an international Jewish plan deeply influenced by Zionist ideology. Correspondence between President Cassin and the Sultan shows that although the assimilatory ideology of the Alliance was influenced by Zionism, the organization was far from being Zionist. In fact, it managed to identify simultaneously with both French patriotism and pro-Zionism.
De nouvelles orientations du réseau scolaire ? Extraits d’un rapport de l’Alliance, avril 1948 – avril 1950, par Anne Grynberg
Au lendemain de la guerre, l’Alliance doit reconstruire son oeuvre scolaire tout en s’adaptant aux conditions socio-politiques nouvelles, et, parfois, en procédant à un réexamen de sa définition de l’éducation juive. Dans le rapport sur la situation des écoles pour 1948-1950, publié dans Les Cahiers de l’Alliance israélite universelle en mai 1950 sous le titre «Action éducative», l’auteur a choisi de présenter les passages relatifs à deux pays phares : le Maroc, véritable «terre de mission» pour l’AIU, et Israël dont la création récente incite les dirigeants de l’institution à développer le réseau préexistant dans la région. L’accent est mis, d’autre part, sur la nécessité de former des enseignants compétents et convaincus de leur mission, dans ce fleuron que constitue l’Ecole normale israélite orientale.
/ New Trends for the School System? Excerpts from an Alliance Report (April 1948–April 1950)
In the years immediately following the war, the Alliance has to rebuild its school work while adapting to new sociopolitical conditions and redifining its conception of Jewish education. Hence, a great report about the situation between 1948 and 1950 is published in Les Cahiers de l’Alliance Israélite Universelle under the title “Educational Action” in may 1950. Its author chooses to focus on the situation in Morocco – a mission land for the Alliance, and in Israel – whose recent birth incites the head of the institution to develop the existing network. The main point then seems to be the need to train effective and devoted teachers in the Ecole Normale Israélite Orientale.
La reconstitution de la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, 1945-1955, par Jean-Claude Kuperminc
Lorsque les Allemands entrent à Paris en juin 1940, la bibliothèque de l’Alliance est depuis longtemps une institution intenationalement reconnue, dépositaire de trésors du patrimoine écrit et instrument de recherche incomparable pour les études juives. De 1940 à 1944, la bibliothèque subit un pillage organisé, et devient le réceptacle des rapines opérées par l’occupant. L’article montre comment l’Alliance a retrouvé ses collections spoliées et comment elle a réorganisé le fonctionnement d’une bibliothèque meurtrie dont les responsables se succèdent rapidement. Retraçant la situation de la bibliothèque de 1945 à 1955, il insiste sur le rôle d’Edmond-Maurice Lévy et sur les ambitieux projets qui démontrent une vitalité certaine. Le surprenant exil américain de certaines pièces précieuses illustre les difficultés inattendues rencontrées à cette période.
/ The Reconstitution of the « Alliance » Library (1945–1955)
When the Germans entered Paris in June 1940, the Alliance library was an internationally respected institution in the field of Jewish studies. It held rare written documents and was a useful instrument for academic researchers. From 1940 to 1944, the library was the victim of organized plundering, while the occupying forces used it as storage space for their spoils. This paper shows how the Alliance managed to reorganize a library whose directors kept succeeding one another. It stresses Edmond-Maurice Lévy’s work as well as a number of ambitious projects that demonstrated its vitality.
Mélanges
L’affaire de Damas et les prémices de l’antisémitisme moderne, par Rina Cohen
En février 1840 disparaît à Damas un moine capucin, le père Thomas. Les Juifs de la ville sont accusés de l’avoir assassiné afin d’utiliser son sang dans la préparation du pain azyme pour la Pâque. Le religieux étant un protégé français, le consul de France mène l’enquête dans un contexte international complexe. Contre l’accusation calomnieuse de crime rituel, qui semble une résurgence médiévale, les Juifs d’Europe occidentale se mobilisent et un mouvement général de solidarité se forme pour la défense des coreligionnaires d’Orient. Surtout, on vit transparaître dans cette affaire les premiers signes de l’antisémitisme contemporain.
/ The Damascus Affair and the Beginning of Modern Anti-Semitism
In February 1840, Father Thomas, a Capuchin monk, disappeared from Damascus. The Jews of the city were accused of having murdered him in order to use his blood in the preparation of the Easter matzo. This monk being a citizen of a French Protectorate, the French Consul conducted his enquiries in a highly complex international context. Meanwhile, West European Jews, mostly from France, mobilized in a vast movement of solidarity against the slanderous indictment of ritual murder and on behalf of their fellow Jews from the Levant. In this affair, the appearance of the first signs of contemporary anti-Semitism become apparent.
Recherches
Vous avez des archives ? Veillez sur ellles, par Anne Zink
Dictionnaire
- Alégrina Benchimol Lévy, directrice d’école de l’Alliance
- Jules Braunschvig, président de l’Alliance
- Lucien Weil, naturaliste résistant
Lectures
- Collectif, Le Trésor de Colmar (Monique Lévy)
- Patricia Hidiroglou, Rites funéraires et pratiques de deuil chez les Juifs en France, XIXe-XXe siècles (Isabelle Meidinger)