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Éditorial
Voici un numéro d’Archives juives qui mérite de retenir l’attention de nos lecteurs. En effet, notre dossier principal propose trois thèmes. Le premier porte sur l’identité juive. De toute évidence, son contenu a varié suivant les époques et les milieux. Mais s’agissant de l’histoire des Juifs de France, il est impossible de ne pas poser la question de ses définitions. Dans le monde d’aujourd’hui, bouleversé par les effets de la mondialisation, chacun d’entre nous pose la question de son identité, et l’identité juive n’est certainement pas la plus facile à définir.
L’Émancipation marque une rupture. Les Juifs sont intégrés dans la nation comme tous les autres citoyens. Dès lors, ils ne constituent plus une nation ni un peuple. C’est la condition primordiale que les Constituants mettent en avant pour leur accorder les droits civiques. Les israélites français ont toujours cru qu’ils avaient gagné la partie. Depuis un demi-siècle, les certitudes ont perdu de leur force. À chacun de conclure. Il n’empêche que l’histoire contemporaine pousse au débat.
Du coup, on comprend pourquoi la transmission, en particulier l’enseignement, offre un angle de vue privilégié. À l’école – il s’agit, bien entendu, de l’école juive – l’identité juive est définie, consciemment ou non, durablement ou non. La prise de conscience ne saurait être identique suivant que l’on envisage, par exemple, les écoles consistoriales, les établissements de l’ORT ou les mouvements de jeunesse. Il n’empêche que la diversité des expériences finit par former un puzzle que l’historien a pour mission de mettre en forme. Avec la conviction que l’étude n’est pas achevée, qu’il appartient à d’autres historiens de la poursuivre. N’est-ce pas la justification d’une revue que de suggérer des pistes et de ne pas laisser croire qu’à peine entrepris, le travail est terminé ?
La présente livraison de la revue n’est pas limitée au dossier. Loin de là. Des études précises et neuves traitent aussi bien du XVIIIe siècle que du XIXe et du XXe siècles. Il convient d’ailleurs de rappeler que la rédaction souhaite recevoir les articles de jeunes chercheurs. C’est notre politique depuis que nous avons assumé la direction de cette revue. II va de soi que les articles seront soumis à notre comité de lecture et retenus s’ils sont conformes à l’exigence de qualité qui nous anime.
Comme à l’accoutumée, la rubrique « Archives » informe nos lecteurs sur des fonds encore mal connus ou trop peu exploités. Enfin, le dictionnaire progresse. D’un numéro à l’autre, il s’enrichit de nouvelles entrées. Le jour viendra où il sera possible de proposer un ouvrage qui rassemblera toutes les notices que nous avons fait paraître. Toutes précautions prises, l’ouvrage contribuera à approfondir notre connaissance des milieux juifs contemporains. De ce point de vue, nous faisons appel à nos lecteurs. S’ils disposent d’informations originales sur telle ou telle personnalité, s’ils désirent nous recommander d’écrire la notice d’un homme ou d’une femme que nous aurions négligé, nous serons ravis de prendre note de leurs suggestions.
L’autosatisfaction est à la fois détestable et paralysante. Mais personne ne contestera qu’avec ses qualités et ses faiblesses, Archives juives remplit son rôle. Elle le fera mieux encore, en renforçant ses liens avec ceux qui la lisent.
A.Kaspi
Sommaire
Dossier : Transmettre l’identité après l’émancipation
Du heder aux écoles actuelles : l’éducation juive, reflet d’un destin collectif, par Katy Hazan
L’auteur montre comment, de l’époque moderne à nos jours, l’éducation juive a toujours été définie en fonction des modèles identitaires successivement développés par la minorité juive en France. Au heder propre aux » nations » juives d’Ancien Régime succède après l’Emancipation l’école consistoriale et son pari difficile : favoriser la promotion des individus juifs dans la société tout en entretenant chez eux le particularisme religieux. D’abord outil privilégié de la » régénération » des Juifs nécessiteux ou immigrés, ce modèle perdure jusqu’à la fin des années 1930, non sans s’étioler du fait même du succès du projet assimilateur et de la sécularisation de la société. C’est dans l’entre-deux-guerres, et surtout à la veille de la Seconde Guerre mondiale, qu’émerge, avec les premières fissures dans le bloc du » franco-judaïsme » des aspirations à une identité définie en termes plus religieux et plus favorables au sionisme, bien qu’encore fondamentalement » israélites « . Ces aspirations s’expriment dans le phénomène nouveau des mouvement de jeunesse, surtout des Eclaireurs israélites de France, et dans la création du lycée Maïmonide à Paris, avant de rencontrer dans l’Occupation des circonstances propres à eur expansion et à l’éclosion de nombreuses structures nouvelles. Le renouveau cependant est fugace. Il faut attendre les années 1960 et surtout 1970 pour assister à une explosion de l’offre éducative juive, dont l’effondrement du modèle israélite est, cette fois, la raison essentielle.
/ From heder to contemporary schools : the Jewish education, as the reflect of the fate of a community
The author endeavours to show how , starting from the modern era to our days, the Jewish education has always depended on the successive identity types to which the Jewish minority in France chose to belong. Following the heder of the Jewish » nations » of the » Ancien Régime « , the consistorial school comes after the Emancipation with its difficult challenge : promoting Jewish individuals into the communal society and at the same time the acknowledgement by each one of his religious specificity. Primarily a favourite means of regenerating for the poor and the immigrant Jewish people, this means of improvement reaches the end of the thirties, unhappily weakening because of the success of the assimilation and the social secularisation of general society. Between the two World Wars and mainly on the eve of the second one, the first weaknesses begin to appear in French Judaism as a whole, and yearnings for a more religious aspect of the identity and a more favourable interest for zionism, although many still remain convinced » israelites « . These yearnings are manifest in the newly born youth movements, mostly the French Israelites boy-scouts, and the creation of the Maimonide college in Paris, and, during the period of the occupation, will meet favourable conditions for their growth and the birth of new structures. However this renewal is transient. Not until the sixties and more effectively the seventies, the outburst of Jewish educational opportunities will be offered, and the the collapsing of the French Israelite model is the fundamental reason for this outburst.
L’école consistoriale élémentaire de Paris, 1819-1833. La « Régénération » à l’œuvre, par Monique Nahon
La création de l’école consistoriale de Paris s’inscrit dans le projet global de régénération des Juifs nécessiteux dicté par l’Etat napoléonien et soutenu activement par les notables juifs de la capitale, désireux de faire au plus vite de leurs coreligionnaires déshérités des citoyens français de confession israélite. Les principes posés dès 1812, l’école de garçons ouvre ses portes en 1819, celle de filles en 1822. Souscrivant à l’origine à la méthode d’enseignement mutuel, alors très en vogue, elles proposent gratuitement un programme éducatif original : outre un enseignement général axé sur l’appropriation de la langue française et une instruction religieuse juive de base, les enfants apprennent en effet la langue hébraïque, ce qui entretient un particularisme outrepassant la seule religion. Diverses difficultés poussent cependant à la prise en charge de ces écoles, dès 1833, par la Ville de Paris.
/ Consistorial Elementary Schools in Paris, 1819–1833: A Case of Ongoing Regeneration
The creation of the consistorial school in Paris is part of the whole planning to regenerate the poor Jews which was ordered by the Napoleon Empire and supported by the prominent Jews of Paris in order to make their miserable coreligionists become French citizens of israelite religion more rapidly. These projects were started as early as 1812, and the school for boys opened in 1819, that for girls in 1822. From the start, they adhere to the method of mutual teaching, which was then popular, and they offer a free and original educational program : a general teaching centered on the knowledge of the French language and a basic religious education ; this is a way to learn the Hebraic language ant thus to forster a specificity going beyond the sole relgion. Because of various hardnesses, the City of Paris was impelled to take charge of these schools as early as 1833.
L’éducation juive à Marseille sous Vichy (1940-1943) : une renaissance circonstancielle, par Renée Bensousan
Classiquement » israélites » et en nombre limité avant la guerre, les structures éducatives juives se multiplient à Marseille après 1940, à la faveur de la liberté de culte relative laissée par Vichy, en même temps qu’y affluent repliés et réfugiés juifs. Anxieux d’entretenir la flamme du judaïsme chez les jeunes, le Consistoire central ainsi que des organisations comme l’OSE et l’ORT prennent de nombreuses initiatives s’inspirant de l’approche confessionnelle propre à l’ » israélitisme « . Mais les différents groupes ultra-orthodoxes échoués dans la ville ne sont pas en reste, de même que les milieux sionistes aux conceptions plus culturelles du judaïsme. Diversité donc, juxtaposition éducative qui épouse les contours complexes de la nouvelle géographie juive locale, ce qui n’exclut pas une certaine collaboration entre responsables réfugiés et notables locaux, réunis autour de l’objectif commun défini par Edmond Fleg : faire du judaïsme intérieur […] [un ] refuge « , un lieu de résistance, face aux humiliations et aux dangers de l’heure. Ces efforts sont cependant balyés en 1943 et 1944 lorsque la survie physique devient l’enjeu premier pour les Juifs de Marseille.
/ Jewish education in Marseille during the administration of Vichy government (1940-1943) : an occasional rebirth
The Jewish educational structures in Marseille were of the current israelite type an in few numbers. But after 1940, because a relative freedom of practicing religion was left by Vichy adminstration and also because many French Jews and refugees retire to Marseille, these structures increased. Eager to maintain Judaism alive among the young, the Central Consistory together with organisations such as OSE and ORT took many initiatives actuated by the confessionnal approach belonging to » israelitism « . But the various ultra orthodox groups stranded in the city do not remain behindhand, as well as the Zionistic organisations favouring a more cultural practice of Judaism. Different levels then, an educational juxtaposition following the complex outlines of the new local Jewish geography, which do not impede with a kind of cooperation between the refugees spokesmen and the local notabilities centered on the common object as defined by Edmond Fleg : to make » inside Judaism […] [a] refugee « , a place of resisting in front of the humiliations and danger of the time being. These endeavours unfortunately come to an end in 1943 and 1944 when physical survival becomes the first aim for a Jew in Marseille.
Les écoles professionnelles de l’ORT-France et la transmission du judaïsme, 1921-1949, par Emmanuelle Polack
A partir d’archives nouvelles, l’auteur retrace l’évolution des conceptions sur la transmission du particularisme juif dans les écoles professionnelles de l’ORT-France. D’abord fermement ancrée dans sa mission de formation pour une meilleure intégration professionnelle des Juifs dans l’économie du pays d’accueil et donc peu soucieuse d’entretenir le particularisme juif, l’organisation prend conscience, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, de la nécessité d’adjoindre à son objectif économique premier la transmission d’un bagage juif – exclusivement culturel, sans référence à la religion comme à l’Etat d’Israël – donnant sens à une identité bafouée. Outre l’instauration, limitée pour le temps consacré et l’efficacité, d’un enseignement de l’histoire juive et de l’hébreu dans les établissements, cette préoccupation s’exprime surtout dans les activités périscolaires offertes par les foyers socio-éducatifs qui leur sont souvent adjacents, comme à Strasbourg, ainsi que dans le rôle moteur de l’ORT-France dans la création, en 1949 à Paris, du Musée populaire d’art juif.
/ ORT-France : professionnal schools and transmission of Judaism 1921-1949
Starting from new archives, the author recounts the changes in conceiving a way to transmit the Jewish particularism in ORT-France professional schools. This organisation is at first strongly determined to keep to its mission of teaching in order to reach a better professional integration of the Jews in the economcal domain of the receiving countries, and does not care very much to keep the Jewish particularisms. Bur then it become aware, because of the Second World war, of the urge to add to its first professional teaching aims the transmission of a Jewish belonging – exclusively cultural – without referring to religion or Israel as a state – triying to find a meaning to this mocked identity. Besides, the setting up, restricted as to the time devoted and the efficiency, of teaching Jewish history and Hebrew at school, this concern is mainly dealt with through activitities outside scholl offered by socio-educational centers often contiguous, as in Strasbourg, and main part played by of France Ort in the creation in Paris in 1949 of the Jewish museum of populat art.
Qu’est-ce qu’un scout juif ? L’éducation juive chez les Eclaireurs Israélites de France, de 1923 au début des années 50, par Alain Michel
Chez les Eclaireurs Israélites de France, la place et le contenu de l’éducation juive ont évolué en fonction des équipes dirigeantes, de la conscience qu’elles eurent ou non du rôle que le mouvement devait jouer au sein de la communauté, et des grands débats agitant le monde juif. Reprenant les textes importants qui jalonnent cette histoire, l’article souligne quelques unes des étapes les plus significatives de l’évolution idéologique des EIF et de ses répercussions sur les activités pédagogiques : la création dans le giron consistorial au début des années 1920, la prise de distance avec ce milieu d’origine et l’avènement du pluralisme autour d’un » minimum commun » religieux et sioniste défini en 1932, le renouveau spirituel pendant la guerre illustré par la personnalité de Léo Cohn et le chantier rural de Lautrec, les désillusions de l’après-guerre, le mouvement scout tombant, après une brève période d’effervescence, dans une léthargie qui frappe l’ensemble de la communauté juive dans les années 1950, avant la renaissance de la décennie suivante.
/ What is a Jewish boy scout ? Jewish education for the israeli boy scouts of France from 1923 to the beginning of the 50’s
Among israelite boy scouts of France, the importance and the contents of Jewish education have changed depending of the leading teams, of their awareness of the function of this organisation in the community and of the important discussions which perturbed the Jew world. Starting from the main texts which mark out that history, the paper points out some of the most important stages of the evolution of the EIF and of its consequences upon the educational activities. EIF were born in the beginning of the twenties according to the spirit of the consistory. They put a distance between them and their original center, and referred to a newly thought pluralism around a » common minimum » religious as well as zionistic as defined in 1932. They followed the spiritual renewal during the war helped by the personnality of Leo Cohn and the rural work of Lautrec. They were disillusioned after the war, the scout organisation falling, after a short period of fever, into a torpor which exists for the whole of the French Jewish community in the fifties, before the rebirth of the following decenny.
Mélanges
Juifs du prince-abbé : les Juifs de Guebwiller, par Denis Ingold
La permanence de la présence juive à Guebwiller depuis 1270 n’est qu’un trompe-l’oeuil qui cache la précarité de leurs installations, tant à l’époque moderne qu’au moyen âge. Les raisons de la stagnation démographique et économique de la communauté juive au XVIIIe siècle dans cette petite ville de Haute-Alsace, contrastant avec leur relative prospérité dans les villages avoisinants, sont analysées en détail : restrictions seigneuriales, lourdeur des taxes, antijudaïsme latent de la municipalité et de la population. Ce n’est que plusieurs décennies après l’Emancipation que la communauté de Guebwiller connaît un relatif développement.
/ The Jews of the Prince-abbot : the Jews of Guebwiller
The cantors in the alsacian countryside stand for an important aspect of the alsacian rural Judaïsm, which no longer exists to-day. Seen as main notabilities or » easy-going » men among very often small communisties, they play the main part in the human organization if these social groups. The cantors may have been the keepers otf a specific liturgical tradition -and as such most criticized by the urban Jews – or they may have been the firts to initiate changes which, respecting the halakha, allow the synagogal surrounding to remain the axis of communautory life. Very often, their artistic renown reaches, beyond the circle of the Jewish community, the local music-loving people.
Les Juifs de Paris sous la Terreur d’après leurs cartes de sûreté, par François Lustman
L’analyse statistique des renseignements portés sur les cartes de sûreté des Juifs de Paris sous la Terreur montre une forte immigration en 1793, corrélée au fort taux de mariages et de circoncisions opérés en 1793 et 1794. Cette poussée démographique ne s’accompagne pas d’un changement rapide ni dans la géographie de l’habitat ni dans les catégories socio-professionnelles, les plus récents immigrés se cantonnant dans les anciens métiers liés au colportage sans mettre à profit les nouvelles possibilités professionnelles offertes par l’Emancipation.
/ The Jews of Paris during the reign of Terror according to their security cards
The statistical analysis of the information given by the security cards of the Jews of Paris during the reign of Terror shows an important immigration in 1793, referring to the high number of weddings and circumcisions in 1793 and 1794. This demographic increase does not go with a swift evolution of the geograpy of residence, nor about the socio-professional classes, the newer immigrants remainng limited to the old crafts related to pedlers, without availing themselves of the new professional opportunities following the Emancipation.
Une nouvelle conception du métier de rabbin : le rabbin consistorial en France au XIXe siècle, par Richard Ayoun
Les changements induits dans les communautés juives après les lois napoléoniennes se sont répercutées sur le métier de rabbin. Avant le XIXe siècle en effet, les rabbins passaient beaucoup de leur temps dans leur cabinet de travail à lire et à étudier les problèmes religieux auxquels ils étaient confrontés. Ils pouvaient se consacrer à la Tora et aux études sacrées, considérées comme les Sages comme valant toutes les oeuvres pieuses et sociales. Désormais les rabbins doivent enseigner la religion aux Juifs et les exhorter à accomplir leurs devoirs. Outre le temps qu’ils passent à guider leur communauté et à assurer les oeuvres charitables, ils doivent représenter le judaïsme auprès des autorités politiques.
/ The Jews of Paris during the reign of Terror according to their security cards
Changes that occur inside the Jewish communities after Napoleon laws have consequences on the work of the rabbis. Before the XIXth century indeed, rabbis spent most of their time in their working cabinet, reading books and studying any religious issue their were confronted to. They could devote themselves to the Tora and to sacred studies, an activity which was regarded by Sages as equal to all social and pious works. From then on, rabbis have to teach Jews about their religion and to encourage them to accomplish their duties. Not only do they have to devoted much of their time to charitable work ans act as guides for their community, but they also represented Judaism before political authorities.
Recherches
Les archives de la spoliation à la Caisse des dépôts et consignations, par Pierre-Yves Aigrault
Dictionnaire
- David Feuerwerker, rabbin
- Sam Job, dirigeant communautaire, résistant
- Paul Haguenauer, rabbin
- Samy Klein, rabbin, résistant
Lectures
- L’Abbé Grégoire, la politique et la vérité, par Rita Hermon-Belot, préface de Mona Ozouf (Monique Lévy)
- Vallat. Du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’Etat, 1981-1972, préface de Philippe Burin (André Kaspi)
- Le Choix des X. L’Ecole polytechnique et les polytechniciens, 1939-1945, collectif sous la direction de Marc-Olivier Baruch (Monique Lévy)
- La Lune d’hiver. Récit-Journal-Essai, réédition (Catherine Nicault)