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Éditorial
Le dossier « Mobilités France-Israël » est notre façon de marquer le 60e anniversaire de la création de l’État d’Israël. Il est aussi l’occasion de réfléchir sur les mouvements des Juifs de France vers la Terre d’Israël, de la fin du XIXe siècle à ces toutes dernières années, et sur les liens créés par leur intermédiaire.
Naturellement, l’émigration ou l’alyah (la « montée ») est au cœur du sujet, mais elle n’est pas tout le sujet. C’est pourquoi nous avons fait qu’effleurer celle des Juifs d’Afrique du Nord, de loin plus importante numériquement, à travers le rôle d’étape joué par le territoire français, et singulièrement la région marseillaise, dans leur migration vers Israël. De cette alyah hexagonale donc, l’approche privilégiée, celle de l’histoire culturelle, fait ressortir une image enrichie : un apport proprement français remarquablement mince au Yishouv (la communauté juive en Palestine) et un plus étoffé à l’État hébreu, tandis que les institutions juives françaises ont déployé beaucoup de zèle entre les deux guerres pour favoriser la réémigration des Juifs étrangers, entre autres vers la Palestine ; sur cette ligne d’horizon se détachent avec d’autant plus de relief trois moments relativement exceptionnels par la qualité intellectuelle ou le nombre des départs : les lendemains de la création de l’État, ceux de la guerre des Six jours et la présente décennie.
Au surplus, deux traits manifestent la difficulté à rompre, bien souvent, les attaches avec le pays d’origine : la fréquence assez élevée, semble-t-il, des échecs de l’immigration et donc des retours en France ; celle des vies partagées entre le pays de naissance et Israël, avec des allers et retours plus ou moins incessants facilités par le transport aérien et la possession, presque toujours conservée, de la double nationalité. Des comportements qu’en général les officiels israéliens préfèrent ignorer et que les démographes peinent d’ailleurs à chiffrer. Sont-ils vraiment surprenants de la part d’une émigration choisie en toute liberté ?
Étrangement pourtant, la faiblesse de l’alyah française contraste de plus en plus, au fil du XXe siècle, avec la place grandissante que prend Israël dans les préoccupations des Juifs de France et dans leur sentiment identitaire. Une aporie dont on ne sort qu’en élargissant l’observation au-delà de la seule alyah, en prenant aussi en compte les divers mouvements pendulaires que nous venons d’évoquer, et, plus encore, temporaires comme le tourisme. Tel est justement notre parti-pris, qui permet de discerner la construction progressive, d’un pôle à l’autre, d’un véritable espace de circulation et de familiarité bien en rapport, pour le coup, avec le rapport affectif souvent intense des Juifs de France à Israël.
Quant aux autres rubriques – « Mélanges », « Archives », « Dictionnaire biographique », etc., elles cultivent l’éclectisme habituel. Nous espérons ainsi, comme toujours, satisfaire les curiosités variées de nos lecteurs et « coller » à l’actualité de la recherche dans tous nos domaines d’intérêt. À tous, nous souhaitons bonne lecture et une très bonne année.
C.Nicault
Sommaire
Dossier : Mobilités France-Israël
Introduction, par Colette Zytnicki
Pas de résumé disponible pour l’instant.
L’émigration de France vers la Palestine (1880-1940), par Catherine Nicault
Entre 1880 et 1940, le France n’est pas un pays d’émigration vers la Palestine. Elle est, en revanche, un pays de réémigration pour quelques Amants de Sion et sionistes originaires d’Europe orientale avant 1914, et pour des réfugiés d’Europe centrale, bien plus nombreux, dans les années trente. Si les sionistes de France sont remarquablement peu portés sur l’alyah, cela tient moins à leurs faibles effectifs qu’au type de sionisme « diasporique » qu’ils professent en général et qui leur permet d’accorder leur exigence d’affirmation juive avec la poursuite d’une existence satisfaisante dans un pays auquel ils sont bien souvent attachés. Par la pratique naissante du tourisme dans la Palestine juive, par l’instauration de rituels comme la plantation d’arbres en l’honneur d’un proche disparu, les sionistes français nouent néanmoins des liens tangibles, chargés d’affectivité, avec la terre d’Israël. Bien plus que la propagande politique classique, ceux-ci auront un impact sur la mentalité juive française.
/ Emigration from France to Palestine (1880-1940)
Between 1880 and 1940, France cannot be said to be a country from which people emigrate to Palestine. Instead it appears as a country to which re-emigrants come, such as Lovers of Zion and Zionists from Eastern Europe before 1914, and much more numerous ones from central Europe in the thirties. If French Zionists do not feel really concerned with the alyah, it is not related to their low numbers, but because of their peculiar « diasporic » Zionism which enables them to combine their claiming to belong to Judaism with their pursuing a pleasant life in a country which is dear to them. As soon as tourism towards Jewish Palestine was initiated, rituals were organized such as planting trees in the memory of a dead relative, the Franch Zionists build up tangible sentimental links with the earth of Israel. Far more than the usual political publicity, these will influence the French Jewish trend of mind.
Le camp du Grand Arènas, l’étape française des émigrants du Maghreb en route vers Israël (1952-1966), par Nathalie Deguigné et Emile Temime
Du camp du Grand Arénas, fermé en 1966, entièrement rasé au début des années 1980, il ne reste presque rien aujourd’hui. Géré conjointement par les autorités françaises et l’Agence juive en ces temps d’idylle franco-israélienne, il a été une plaque tournante importante de l’alyah – dans une relative discrétion. Par lui passèrent, dès 1945, des survivants de la Shoah fuyant l’Europe orientale et décidés, malgré l’opposition de la Grande-Bretagne, à forcer les portes de la Palestine encore mandataire ; à leur suite vinrent, à partir de 1952, les Juifs d’Afrique du Nord exclusivement, surtout marocains et dans une moindre mesure tunisiens. C’est sur cette phase « nord-africaine » de l’histoire du camp, la plus longue et la plus méconnue, que porte l’article. Fruit d’une enquête auprès des acteurs et des témoins, il décrit avec précision et sensibilité les conditions de vie des migrants, l’inconfort, les froissements (avec l’encadrement israélien notamment), mais aussi l’espérance dans une vie meilleure en Terre promise.
/ The Great Arenas Camp, the stopping-place in France for emigrants from the Maghreb, on their way to Israel (1952-1966)
Presently almost nothing remains of the great Arenas camp, closed in 1966, and completely razed at the beginning of the years 1980. Managed both by the French authorities and by the Jewish Agency, in those days when it was a France-Israel honeymoon, the place was an important hub of the alyah, with more or less secrecy. As early as 1945 it was visited by survivors of the Holocaust fleeing from Eastern Europe and determined to force their way into Palestine, in spite of the still mandatory Great Britain’s refusal. From 1952, they were followed by Jews coming exclusively from North Africa, in great numbers from Morocco, and less numerous from Tunisia. This article deals with this « North-African » period of the history of the camp, the longest and the least known. As the result of an investigation dealing with people who stayed there and witnesses, it describes pointedly and with sympathy the conditions of life of these migrants, the discomfort, the offences they underwent ( particularly from the Israeli managerial staff), but also the expectations for a better life in the Promised Land.
Les Juifs de France en Israël : entre tourisme et empathie (1948-1982), par Ariel Danan
Entre 1948 et 1982, Israël devient une destination de vacances privilégiée des Juifs de France. Ainsi que le proclament les publicités d’El Al, le pays dispose de conditions touristiques idéales. Les Juifs sont également très attirés par tout ce qui évoque la présence juive en terre d’Israël – sites archéologiques et surtout Jérusalem. A cet égard, la guerre des Six Jours marque un tournant : la visite devenue possible de la Vieille Ville de Jérusalem les pousse à effectuer un séjour qui, par ailleurs, est plus facile à organiser et moins onéreux. Admiratifs devant la beauté du pays et les réalisations israéliennes, ils témoignent souvent, une fois rentrés en France, davantage d’empathie à l’égard de l’Etat hébreu. Les voyages organisés (pèlerinages religieux compris) rencontrent en général peu de succès, les touristes français préférant les séjours informels ponctués de visites à leur famille. En revanche, les jeunes sont très nombreux à partir en groupe pour découvrir les réalités israéliennes, en passant par exemple quelques semaines dans un kibboutz.
/ Jews from France in Israel:between tourism and empathy, (1948-1982)
Between 1948 and 1982 Israel becomes a favourite holiday destination for the Jews from France. As El-Al advertising announces, the country offers the best tourist conditions. The Jews are also strongly attracted by the marks of the presence of Jews in Israel – archaeology and utmost Jerusalem. Concerning the city the Six-Day war was a turning-point: since they are allowed to visit the Old City they prefer to stay in Jerusalem, and moreover the sojourn is easier to organize and less expensive. Going back home with a feeling of admiration for the beauties of the country and the Israeli achievements, they express a stronger empathy with the Hebrew state. The package tours (including religious pilgrimages) are not very successful, French tourists prefer unprepared stays together with meetings with their families. On the contrary, numerous youths travel with groups, in order to get familiar with the Israeli everyday life, for instance spending a few weeks in a kibbutz.
« Les accomplissements imprévisibles du Retour… ». L’alyah d’Eliane Amado-Lévy-Valensi, de Léon Askénazi et d’André Neher après la guerre des Six jours, par Denis Charbit
L’article traite de l’immigration intellectuelle juive française qui a eu lieu en Israël après la guerre des Six-jours et sous son impact. Il porte essentiellement sur trois figures légendaires et reconnues : André Neher, Eliane Amado-Lévy–Valensi et Léon Askénazi (Manitou), à partir desquelles est dressé un portrait des disciples qui les ont suivis dans leur trajectoire : Benno Gross, Théo Dreyfus, Lucien Lazare. Il reconstitue leur itinéraire en Israël et pose la question de leur rayonnement dans ce pays comparé à celui qu’ils ont eu en France. La thèse défendue est que, si la perception dominante est celle d’un échec, les Israéliens restant globalement sourds à leurs interrogations, il convient de tempérer cette idée reçue en veillant à ne pas sous-estimer ce que l’auteur appelle la transplantation de l’école de pensée de Paris à Bar-Ilan et son impact réel sur le sionisme religieux francophone et non-francophone.
/ «The unpredictable achievements of the ‘Chivah’…». The alyah of Éliane Amado-Lévy-Valensi, Léon Askénazi and André Neher after the Six Days war
This article deals with the immigration of the French Jewish intellectuals to Israel after the Six Days war, and as a consequence of it. It studies mainly three legendary and well-known figures: André Neher, Éliane Amado-Lévy-Valensi and Léon Askénazi (Manitou) and these will help portray their followers who chose the same path, as Beno Gross, Théo Dreyfus, Lucien Lazare. It reconstructs their route in Israel and wonders about their radiance in that country compared to their influence in France. The argument is that, even if what is perceived on the whole as a failure, because the Israeli remained deaf to their questioning, we should temper this received idea by ensuring that what stands for the author as the transplantation of this school of thought from Paris to Bar Ilan had a real impact on the French and non-French religious Zionism and cannot be undervalued.
Le début d’une grande alyah ? Les Juifs de France « montés » en Israël depuis 2000, par Jérémy Sebbane
Dans un contexte de recrudescence des actes antisémites en France et de conflit meurtrier au Proche-Orient lié à la seconde Intifada, le nombre des migrants français vers Israël entre 2000 à 2006 a nettement augmenté. Il est possible d’expliquer cette hausse des départs vers Israël par le sentiment d’inquiétude des Juifs de France se plaignant de l’indifférence des politiques et des médias face à la montée des actes antijuifs. Mais le travail d’incitation constant du gouvernement israélien et de l’Agence juive à faire s’installer le plus de Juifs possible en Israël afin de pallier aux problèmes démographiques de l’Etat hébreu a aussi joué un rôle non négligeable. Qu’il s’agisse d’une migration de choix ou de fuite, les migrants qui idéalisaient Israël éprouvent souvent une déception devant la difficulté de s’intégrer dans un pays en crise économique, où ils sont confrontés au terrorisme de façon quasi quotidienne et où il est difficile de trouver un travail lorsqu’on ne maîtrise pas l’hébreu.
/ The starting point of an important alyah? About the Jews of France who have emigrated to Israel since 2000
With the upsurge of anti-Semitic actions in France and of the murderous conflicts in the Near East, linked with the second Intifida, the number of French migrants to Israel was definitely increased between 2000 and 2006. The reason for this increase in the number of departures may be the anxiety of the Jews of France worried by the unconcern of the French administration and Medias in front of the rise of anti-Jewish manifestations. But it cannot be overlooked that the Israeli administration and the Jewish Agency unceasingly encourage the greatest number possible of Jews to settle in Israel so as to overcome the demographic problems. Be it a chosen immigration or one due to fear, the migrants who idealized Israel feel disappointed because of the hardships of integration.
Mélanges
Le critique d’art Waldemar-George. Les paradoxes d’un non-conformiste, par Yves Chevrefils Desbiolles
Né à Lodz en Pologne russe le 10 janvier 1893, installé en France dès 1911, Jerzy Waldemar Jarocinski dit Waldemar-George est rapidement devenu l’un des critiques d’art les plus influents de l’entre-deux-guerres. Son nom reste attaché à l’École de Paris dont il fut, jeune, l’un des promoteurs, et au mouvement néo-humaniste qu’il a ardemment défendu durant les années 1930. Ennemi de l’abstraction comme de toute figuration déformante après la Seconde Guerre mondiale, Waldemar-George finit par trouver dans la tendance informelle ou tachiste de l’avant-garde parisienne, vers la fin des années 1950, une forme d’expression acceptable pour son inlassable quête de l’homme en art. Auteur de milliers d’articles, préfaces, présentations d’expositions et de plusieurs essais, Waldemar-George demeure méconnu. Cet article est un premier essai de synthèse biographique réalisé à partir surtout de la lecture des textes écrits par Waldemar-George, ceux notamment que l’on trouve dans un important dossier de presse déposé à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) par son petit-fils.
/ The art critic Waldmar-George. The paradoxes of a non-conformist
Born at Lodz in Russian Poland on January 10th 1893, having lived in France since 1911, Waldemar Jarocinski, said Waldemar-George, rapidly became one of the most influential art critics between the two World Wars. His name is linked to the School of Paris of which he was as a young man one of the promoters, and to the neo-humanist movement for which he was a passionate champion during the years 1930. Opposed to the abstract art as well as to any distorted figurative art, after the second World-War Waldemar-George finally admitted the informal or tachisme tendency as satisfactory enough for his unremitting quest for man through art. In spite of his being the author of thousands of articles, prefaces, presentations of exhibitions and numerous essays, Waldemar-George still remains unknown. This is the first article trying to present a biographic synthesis with the essential help of the texts of Waldemar-George himself, mainly those which can be found in a substantial file deposited in the Institute of Memoirs of contemporary edition (IMEC) by his grandson.
Archives
Bernard Lazare intime à la lumière des archives Meyerson, par Eva Telkes-Klein
Les archives de l’épistémologue Émile Meyerson (1859-1933) révèlent ses liens d’amitié avec Bernard Lazare (1865-1903), homme de lettres et premier défenseur de Dreyfus. Nouée dans les milieux littéraires parisiens des années 1880, cette amitié s’est poursuivie autour des intérêts juifs : l’Affaire Dreyfus, la Palestine, la situation des Juifs d’Europe orientale, sans oublier la figure de Herzl. Leurs relations de confiance incitent Lazare à confier à Meyerson le soin de publier Le Fumier de Job qu’il considère comme son testament intellectuel, mais que la maladie l’empêche de terminer. Cependant, il n’est pas certain que Meyerson ait rempli ce vœu. Le Fumier de Job ne paraît que vingt-cinq ans après la mort de Bernard Lazare.
/ The private life of Bernard Lazare, in the light of the Meyerson archives
The archives of Emile Meyerson, an epistemologist (1859-1933), bring to light his friendship with Bernard Lazare (1865-1903), a man of letters and the first defender of Dreyfus. Built up in the literary circles of Paris during the years 1880, this friendship was carried on about Jewish matters: affaire Dreyfus, Palestine, the problems of the Jews in Eastern Europe, without forgetting the figure of Herzl. Due to their trustful relationship, Lazare entrusts Meyerson with the task to have Le Fumier de Job published, which he considers as his intellectual will, but which he cannot bring to an end because of his illness. However, it cannot be asserted that Meyerson carried out his commitment. Le Fumier de Job was published twenty five years after Bernard Lazare’s death.
Dictionnaire
- Joseph Haïm Lunel, fabricant d’huile, maire républicain, 2 pages
- Elie Nataf, bâtonnier, 6 pages
- Edmond Virag dit Eddy Weiskopf, international de football, 5 pages
Lectures
- Sylvain Lévi (1863-1935). Etudes indiennes, histoire sociale, sous la direction de Lyne Bansat-Boudon et Roland Lardinois (Monique Lévy)
- Marcel Fournier, Emile Durkheim (1858-1917) (Johanna Linsler)
- Entre Orient et Occident. Juifs et Musulmans en Tunisie , sous la direction de Denis Cohen-Tannoudji (Valérie Assan)
- Sophie Coeuré, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique (de 1940 à nos jours) (Evelyne Patlagean)