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Éditorial
Peut-être avez-vous gardé en mémoire le dossier consacré en 2009 à la grande bourgeoisie juive parisienne ? Eh bien, celui que nous vous proposons aujourd’hui en est en quelque sorte le dérivé et le complément. Nous avions dû renoncer à l’époque, faute de place, à évoquer l’engagement maçonnique dans les élites juives françaises. En même temps, il nous semblait que ce thème méritait amplement l’honneur d’un numéro en propre, avec une forte dimension comparative. C’est chose faite aujourd’hui, et nous tenons à ce propos à remercier chaleureusement son maître d’œuvre, Jean-Philippe Schreiber, ainsi que les chercheurs qui ont rendu cette opération possible.
Car elle ne fut pas facile à réaliser, ce qui peut surprendre, à considérer l’intérêt rituellement manifesté par les grands magazines nationaux à la franc-maçonnerie, ses réseaux et ses mystères. Mais les historiens ne sont pas les journalistes et leurs choix n’obéissent pas aux mêmes impératifs. Nous n’avons pas été longs à constater que Daniel Ligou, Pierre Chevallier, Maurice Agulhon ou Daniel Roche, historiens qui avaient manifesté de l’intérêt à la franc-maçonnerie française dans les années 1970-1980, avaient fait peu d’émules. Et plus encore que, si le discours anti-judéo-maçonnique a été et continue d’être abondamment exploré, il n’en va pas de même des rapports réels, et non fantasmatiques entre les Juifs et la franc-maçonnerie. Or c’est précisément l’approche retenue ici.
Mais ce schéma général a été tracé à partir des sociétés chrétiennes. Est-il valable pour les Juifs ? En réalité, on sait que la charité chrétienne n’entretient qu’une parenté très superficielle avec la pratique juive d’assistance aux plus fragiles et aux plus pauvres qui, de l’Antiquité à nos jours, s’est inspirée chez les Juif pieux du précepte religieux de la Tsedaka, terme hébraïque recouvrant surtout une notion de justice. En revanche, avec l’Émancipation, les élites juives rallient d’enthousiasme le char de la « philanthropie », phénomène qui est l’objet de notre présent dossier, lequel traite essentiellement des formes que cette philanthropie juive a prises en France même. Nous ne tarderons pas à consacrer un prochain numéro au « moment » du travail social, qui débute en France autour de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, les élites juives sont-elles plus portées que d’autres à la philanthropie ? Y a-t-il une manière juive de « faire le bien » ? Derrière l’arbre Rothschild, peut-on discerner la forêt de donateurs moins célèbres ? À qui, pourquoi et comment donne-t-on ?
C’est pourquoi ce dossier s’est d’abord assigné pour tâche de faire le bilan des apports sur ce thème de la production historique existante, pour mieux cerner les lacunes à combler. Car, contrairement à l’image courante d’un monde hermétique aux non-initiés, les archives maçonniques sont pour l’essentiel ouvertes, en tout cas pour la période comprise entre le siècle des Lumières et la Seconde Guerre mondiale. Puis se sont ajoutées, chemin faisant, des études particulières sur l’affaire Dreyfus, la Tunisie, la LICA qui sont autant de preuves apportées de l’accessibilité de ces fonds et de l’intérêt d’y plonger plus avant. Notre souhait, comme toujours, est de dynamiser la recherche, cette fois dans un domaine susceptible d’approfondir nos connaissances sur les processus d’intégration des Juifs de France.
Dans les « Mélanges », nous vous proposons d’abord une comparaison par une jeune chercheuse allemande, Heidi Knörzer, du discours, bien moins antinomique qu’on ne l’a dit, tenu sur la nation par deux célèbres journalistes juifs du XIXe siècle, Ludwig Philippson et Isidore Cahen, de part et d’autre du Rhin, puis, par la sociologue Yolande Cohen, une approche originale sur la diaspora juive marocaine au Canada et sa recomposition identitaire, entre francophonie et sépharadisme. Enfin viennent, comme à l’accoutumée, le « Dictionnaire biographique », avec le portrait du poète Henri Franck, mort à la fleur de l’âge, le point sur les dernières publications et des informations susceptibles de retenir votre attention, en particulier les manifestations organisées à l’occasion du 150e anniversaire d’une des plus fameuses institutions du judaïsme français, l’Alliance israélite universelle.
C.Nicault
Sommaire
Dossier : Judaïsme français et franc-maçonnerie, du XVIIIe siècle aux années trente
Introduction, par Jean-Philippe Schreiber
Pas de résumé disponible pour l’instant.
L’exclusion des Juifs du temple de la fraternité maçonnique au siècle des Lumières, par Pierre-Yves Beaurepaire
Cet article vise à stimuler la recherche sur l’histoire des relations entre la franc-maçonnerie et les Juifs au XVIIIe siècle. La question mérite d’autant plus l’attention qu’elle interroge un des fondements de la franc-maçonnerie, dûment inscrit dans les textes normatifs : l’affirmation de son identité chrétienne et l’identification progressive du cosmos maçonnique à la chrétienté, assorties de l’émergence de projets œcuméniques visant à rapprocher dans le temple de la fraternité ceux que la confessionnalisation de l’Europe avait divisés. Un tour d’horizon ouest-européen révèle en réalité des pratiques en interaction permanente avec l’environnement profane et religieux. Face à la tolérance maçonnique ayant cours en Angleterre et aux Provinces-Unies vis-à-vis des Juifs fortunés, les Juifs les plus éclairés et les mieux intégrés de France et des pays allemands – comme les notables bordelais ou le champion berlinois de l’émancipation, Moïse Mendelssohn – sont en revanche absents des loges sur le continent. La thèse qui y prédomine en effet est que le frère ne peut être qu’un semblable ou un assimilé. Lorsque l’écart par rapport à la norme culturelle reste trop important, le maintien en marge est nécessaire. Au total, les francs-maçons ne s’avèrent pas plus tolérants que les profanes à l’égard du Juif, incarnation de l’autre absolu, ils sont même fréquemment plus vigilants à le maintenir à distance.
/ The Expulsion of the Jews from the Masonic Brotherhood Temple during the Enlightenment
This article intends to provide impetus to research concerning the history of relations between Freemasonry and Judaism during the 18th century. This subject is all the more worthy because it calls into question one of the fundamental beliefs of Freemasonry, duly mentioned in its normative texts: the Christian identity of Freemasonry, the gradual identification of the Masonic Cosmos with Christianity as well as the emergence of ecumenical projects aiming to reunite within the Brotherhood Temple those who had been separated by the process of denominationalism in Europe. In Western Europe, Freemason practices always had links with the secular and religious environment. Whereas in England and in the United Provinces, Freemasonry had always accepted wealthy members of the Jewish community as members, in France and Germany, even the most assimilated and enlightened of Jews – such as the ‘notables’ of Bordeaux or the Berlin champion of Emancipation, Moses Mendelssohn – were not allowed to join the lodges. In those countries, Freemasonry believed that a brother could only be a fellow Gentile or a completely assimilated Jew. If someone differed too much from the cultural norm, he was to be kept on the fringes of the Brotherhood. All in all, Freemasonry was not more tolerant than the secular population was towards the Jews who incarnated the absolute ‘Other.’ In fact, Freemasonry was even more vigilant in keeping Jews at bay.
Juifs d’Europe et d’Amérique en franc-maçonnerie au XIXe siècle, par Jean-Philippe Schreiber
La rencontre entre judaïsme et franc-maçonnerie procède de deux phénomènes dialogiques : d’un côté, la société juive se fragmente peu à peu à partir de la seconde partie du XVIIIe siècle, pour connaître au siècle suivant un véritable pluralisme ; d’autre part, la franc-maçonnerie est en Europe et aux Amériques l’un des premiers creusets de l’ouverture à l’« autre » religieux et va ainsi accueillir progressivement des Juifs en son sein — même si dans certaines régions, en particulier en Allemagne, cette tolérance demeura fort limitée. Cet article explore les conditions de la présence des élites juives, et en particulier des réformateurs sociaux juifs, en loge, montrant que la franc-maçonnerie fut pour eux un moteur de la réalisation de leurs aspirations intellectuelles et sociales tout autant que le cadre et le laboratoire de leur émancipation.
/ Jews and Freemasonry in the 19th century. A general survey
The meeting between Judaism and Freemasonry was the result of two ‘dialogical’ phenomena. On the one hand, from the second half of the 18th century onward, the Jewish community became more and more fragmented and would evolve into a pluralistic society by the 19th century. On the other hand, Freemasonry both in Europe and in America became one of the first ‘melting-pots’ which opened itself to the religious ‘other’. Freemasonry gradually welcomed more and more Jewish members even though this tolerance remained extremely limited certain regions most notably in Germany. This article examines the factors which lead to the presence of the Jewish elite especially Jewish social reformers in Masonic lodges. It emphasizes the fact that Freemasonry was for them a driving force for the realization of their intellectual and social aspirations, and represented both the framework and the testing ground for their emancipation.
Les francs-maçons polonais émigrés en France et la « question juive en Pologne au XIXe siècle, par Daniel Tollet
La Franc Maçonnerie, apparue dans la République nobiliaire de Pologne pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, bien qu’elle n’admît pas les Juifs, constituait pour ceux d’entre eux qui étaient partisans des Lumières, de l’émancipation et de l’égalité des droits, un espoir considérable. Après les avancées juridiques dues à la première insurrection polonaise et à la période napoléonienne, un petit nombre de Juifs polonais émigrés en France rejoignirent les loges parisiennes où ils purent continuer leur combat. Ils se heurtaient toutefois, d’une part, à une partie de l’émigration polonaise qui souhaitait que la Pologne fût libérée uniquement par des Polonais chrétiens et, d’autre part, à la tiédeur des démocrates français à l’égard des audaces révolutionnaires et internationalistes. Après l’obtention, en 1863, de l’égalité des droits pour les Juifs de Pologne, les émigrés juifs maçons s’engagèrent nettement dans la lutte pour l’indépendance de la Pologne.
/ Polish Freemason Emigrants in France and the Jewish Emancipation in 19th century Poland
Freemasonry appeared in Poland under the Nobel Republic during the second half of the 18th century. Although Jews were not allowed to join the Brotherhood, to those who believed in the values of the Enlightenment, in the Emancipation and the accession to the civil rights, it nevertheless represented a great hope. Following the legal advances due to the first Polish insurrection and the Napoleonic period, a few Polish Jewish immigrants in France joined Parisian lodges where they were able to resume their fight for equality. They encounter, however, strong opposition from Polish émigrés who wished for Poland to be liberated only by Polish Christians, and little support from French democrats who did not support daring revolutionary and internationalist actions. When the Jews in Poland finally obtained their civil rights in 1863, Jewish Freemason émigrés became clearly involved in the fight for Polish Independence.
Les élites politiques juives et la franc-maçonnerie dans la France du XIXe siècle, par Jean-Philippe Schreiber
La tolérance affichée par les loges maçonniques, en particulier dans les pays de tradition latine, va très tôt permettre aux membres de l’élite juive d’y concrétiser leur entrée dans la société chrétienne. En France, parmi les personnalités marquantes de l’establishment communautaire juif, le cas d’Adolphe Crémieux est certes le plus manifeste. Il incarne notamment la convergence idéologique entre l’universalisme maçonnique et le républicanisme de l’Alliance israélite universelle, dont il fut le promoteur. Toutefois, dans l’ombre de Crémieux, d’autres élites politiques juives ont marqué la franc-maçonnerie de leur présence – ce que l’historiographie du judaïsme français, pour diverses raisons, qui tiennent surtout à une méconnaissance de la documentation maçonnique disponible, a peu exploré. Le présent article trace quelques pistes en ce domaine.
/ Jewish Political Elite and Freemasonry in 19th century France
The tolerance shown by Masonic lodges, especially in the countries of Roman tradition, very soon enabled members of the Jewish elite to enter Christian society. Of the most notable personalities of the French Jewish establishment to be admitted was Adolphe Crémieux. He personifies the ideological convergence between Masonic Universalism and the Republicanism of the Alliance israélite universelle, an organisation which he helped create. Aside from Crémieux, other Jewish political personalities also played an important part in French Freemasonry. For various reasons, mostly due to a lack of knowledge regarding available Masonic archives, the historiography of French Judaism has not explored this fact. This article opens up new areas of research concerning this subject.
Les loges de France et d’Algérie, l’antisémitisme et l’affaire Dreyfus, par André Combes
La maçonnerie française est l’objet de virulentes attaques de la part des cléricaux et des nationalistes au cours des années où l’affaire Dreyfus suscite tant de passions. Ils l’accusent d’avoir été et d’être au service des Juifs, qu’ils disent nombreux et influents en son sein, et de diriger le mouvement révisionniste. Et pourtant, des maçons contemporains des évènements ont pu écrire qu’elle a subi l’Affaire et que de nombreux frères ont été attentistes ou ont cru à la culpabilité du capitaine. Les accusations des antidreyfusards relèvent du fantasme, mais il est vrai que la maçonnerie française, philosémite pourtant (à l’exception de certaines loges algériennes), ne s’est effectivement engagée dans le camp dreyfusard que lorsque l’Affaire a pris un tour politique.
/ The French and Algerian Lodges, Anti-Semitism and the Dreyfus Affair
During the Dreyfus Affair, French Freemasonry was subjected to virulent attacks from both clergymen and nationalists who accused it being an office to the Jewish cause. In their opinion, the Jews represented both a numerous and influential body amongst the Masonic leadership which explains why the latter lobbied for a retrial of Dreyfus. Ironically, the writings of individual Freemasons during this period indicate that they reacted to the Affair just as other Frenchmen either adopting a “wait -and -see” attitude or believing in the guilt of Dreyfus… These accusations of the antidreyfusards were pure fantasy. The French Freemasonry, although Philo-Semitic (with the exception of certain Algerian lodges), only joined the pro-Dreyfus camp when the Affair became more political.
Judaïsme et franc-maçonnerie en terre coloniale : le cas de la Tunisie, par Claude Nataf
Grâce aux archives disponibles, l’auteur s’est attaché à cerner la présence juive dans les loges françaises de Tunisie, le rythme des adhésions et le profil social des maçons juifs. Si l’existence d’une franc-maçonnerie acceptant des Juifs, surtout livournais, est attestée à Tunis dès le XVIIIe siècle, les loges françaises qui se multiplient dans la Régence à compter de 1881 ne comptent longtemps que fort peu de Juifs, car ils sont, le plus souvent, de nationalité tunisienne ou étrangère. Lorsqu’à partir de 1923, la naturalisation française est accordée avec plus de libéralité, les adhésions juives se font relativement plus nombreuses et plus diversifiées socialement. Pour les maçons juifs, il apparaît que la franc-maçonnerie a été un lieu de sociabilité et d’intégration dans la culture française et dans la société coloniale, celui aussi où, progressivement, les Grana et les Twansa ont pu se rapprocher. Pour autant, elle n’a pas été cause de rupture entre ses affiliés juifs et leur Communauté. Ces affiliés assument fréquemment des responsabilités communautaires importantes et exposent volontiers au public non-juif les revendications du judaïsme tunisien.
/ Judaism and Freemasonry in Colonial Tunisia
Thanks to available archives, the author was able to examine the Jewish presence within French Masonic lodges in Tunisia, the regularity of their membership, as well as their social profile. Although Jews, especially those originating from Livorno, had been accepted in some lodges in Tunis since the 18th century, the French lodges which had been growing in number during the Regency after 1881, had over a very long period offered only a very limited access to Jews who were mostly Tunisians citizens or foreigners. When in 1923, French citizenship was granted more easily, Jews joining the lodges became more numerous and socially diversified. To the Jewish Freemasons, Freemasonry proved to be a place of sociability and integration within French culture and colonial society. In addition, it was a place where the Grana and the Twansa were gradually able to come closer to each other. On the other hand, Freemasonry did not result in Jewish Masons breaking ties with their community.
Ligue internationale contre l’antisémitisme et franc-maçonnerie. Le rendez-vous manqué des années 1930, par Emmanuel Debono
En 1933, la Ligue internationale contre l’antisémitisme amorce une guerre de propagande contre l’Allemagne devenue nazie. Elle devient alors la principale organisation antihitlérienne, en France, pratiquant tout au long de la décennie une stratégie d’alliance avec les forces démocratiques du pays. Elle cherche ainsi à élargir sa base militante pour constituer un vaste front antiraciste. Pour ses détracteurs nationalistes, elle est l’archétype de l’entreprise judéo-maçonne, attelée à un travail de désintégration de la France et de son empire. Pourtant, en dépit de l’appartenance maçonnique de certains de ses dirigeants, ses liens avec la franc-maçonnerie demeurent des plus limités et se traduisent essentiellement par la création tardive d’une loge spécifiquement antiraciste, la loge de L’Abbé Grégoire (1939). Cette distance témoigne d’un rendez-vous manqué entre deux organisations pourtant assez proches au plan des idéaux.
/ The International League against Anti-Semitism and Freemasonry: a missed opportunity for an alliance during the 1930s
In 1933, the International League against Anti-Semitism started a propaganda war against Nazi Germany, becoming the leading anti-Hitler organization of France. During the entire decade it worked on building alliances with other democratic forces in the country. The League thus attempted to broaden its rank and file in order to constitute a much larger front against racism. In the eyes of its nationalist detractors, the League was viewed as the archetype of a Jewish-Masonic enterprise conspiring to break up France and its empire. However, despite the fact that some of the League’s leaders were Freemasons, the relations between the League and Freemasonry was very limited. Furthermore it was only in 1939 that a specifically anti-racist Lodge was finally created: the Abbé Grégoire lodge. In spite of shared values, the League and Freemasonry missed a unique opportunity to create closer ties during this period.
Mélanges
Ludwig Philippson et Isidore Cahen. Deux journalistes, deux pays, un discours politique commun ? par Heidi Knörzer
Voir le résumé en anglais ci-dessous.
/ Ludwig Philippson et Isidore Cahen. Two newspapers men, two countries, same political writings ?
This article analyses the conception of a nation according to the Jewish newspaper men, Ludwig Philippson (1811-1889) and Isidore Cahen (1826-1902), as they explain them in their articles of the Allgemein Zeitung des Judenthums and Archives Israélites. Unlike the previous studies according to which the French Jews would have stood up for a political conception of a nation whereas their German coreligionists stood more for a cultural conception, this article underlines the numerous points of agreement and similarities in the ideas of these two men. As a matter of fact, both of them speak in favour of a society founded on the abstract principle of citizenship which however will not prevent each and everyone from expressing his individual feature.
Juifs au Maroc, Séfarades au Canada. Migrations et processus de construction identitaire, par Yolande Cohen
L’arrivée au Canada d’une vague d’immigrants juifs d’Afrique du Nord, essentiellement du Maroc, a transformé l’équilibre interne et le visage de l’importante communauté juive canadienne, jusque-là composée d’immigrants principalement ashkénazes. L’intégration des Séfarades dans l’ensemble communautaire et plus largement dans la société québécoise révèle des processus de reconstruction identitaire qui impliquent le retour à des référents anciens et parfois mythiques, ainsi qu’une réinterprétation de leurs traditions à la lumière des nouveaux paramètres identitaires québécois. Leur identification au sépharadisme est complexe mais salutaire pour les Juifs du Maroc. Car, si elle gomme en partie le caractère postcolonial de cette immigration et institue une confrontation pas toujours heureuse avec le monde juif ashkénaze, surtout anglophone, elle est une réponse aux attentes politiques du pays d’accueil, favorables à la francophonie, et à celle du multiculturalisme. Cet article vise à mieux comprendre ces processus de reconstruction identitaire des Juifs marocains dans la ville cosmopolite de Montréal, marqués principalement par le renouvellement des structures communautaires, la construction de nouveaux ensembles institutionnels autour de l’identité séfarade et leur rapide intégration économique.
/ Jews in Morocco, Sephardic Jews in Canada: Migrations and the Creation of Identity
The arrival in Canada of North-African and predominantly Moroccan Jewish immigrants transformed both the internal balance and ethnic identity of Canadian Jewry which until then was mainly composed of Ashkenazi Jews. The integration of Sephardic Jews into the Canadian Jewish community, and more largely in the Quebec society, led to an identity reconstruction process implying the return to former, sometimes mythical, referents as well as a reinterpretation of their tradition in light of new Quebec identity parameters. The identification of Moroccan Jews with their Sephardic culture was both complex and beneficial because it was an answer to Canadian political expectations in favour of both multiculturalism and French-speaking immigrants. At the same time it partly erased the post-colonial specificity of that immigrant group but also created tension with Ashkenazi Anglophone Jewish world. This article intends to explain the identity reconstruction process of Moroccan Jews in the cosmopolitan city of Montreal, the renewal of Jewish community structures as well as the construction of new institutional groups based on Sephardic identity and Sephardic Jews swift economical integration.
Dictionnaire
Henri Franck, poète
Lectures
- Actes du colloque du même nom, sous la direction de Danièle Iancu-Agou et Elie Nicolas, Des Tibbonides à Maïmonide. Rayonnement des Juifs andalous en pays d’Oc médiéval (Monique Lévy)
- Simon Schwarzfuchs, La Politique napoléonienne envers les Juifs dans l’Empire (Philippe Landau)
- Roger Perelman, Une vie de juif sans importance (Monique Lévy)
- Diane Afoumado, L’Affiche antisémite en France sous l’Occupation (Catherine Nicault)